Problématique : Le caribou forestier, une espèce à statut précaire au Québec et au Canada, montre un recul marqué vers le nord de son aire de répartition qui semble lié à la progression des coupes forestières. En forêt boréale, la prédation apparaît comme le facteur limitant le plus important pour les populations de caribou et son effet semble amplifié par l’aménagement forestier.
Les travaux passés réalisés au Québec montrent que suite à une coupe forestière, on note une augmentation d’abondance des ressources alimentaires favorables à l’ours noir (baies, fourmis) de même qu’à l’orignal (tiges feuillues et sapin); l’accroissement du nombre d’orignaux favorise l’augmentation potentielle des densités de loup gris, un prédateur du caribou forestier.
L’augmentation de densité des chemins forestiers, qui sont étroitement associés à l’aménagement des forêts, permet d’accroître l’efficacité des prédateurs à patrouiller un territoire aménagé en quête d’une proie. La prédation par le loup est majoritairement centrée sur les caribous adultes mais elle semble peu importante en raison de stratégies d’évitement particulièrement efficaces exprimées par le caribou face au loup gris, un prédateur avec lequel le caribou a co-évolué. Par contre, les stratégies d’évitement des prédateurs du caribou apparaissent peu efficaces face aux densités potentiellement élevées d’ours noir.
En effet, la prédation de l’ours sur les faons du caribou apparaît comme un élément central du déclin de l’écotype forestier du caribou dans l’est du Canada. À titre d’exemple, des travaux passés menés au Saguenay-Lac-Saint-Jean par notre équipe soulignent que le taux de survie des femelles caribous s’élevait à 91 % annuellement tandis que le taux de survie des faons n’était que de 53 % et 43 % après 30 et 90 jours de vie, respectivement. Ces résultats démontrent que la survie des faons constitue l’élément préoccupant relativement au maintien des populations de caribou en forêt aménagée dans cette région administrative. De plus, nous avons noté que la prédation expliquait 71 % des mortalités de faons et que l’ours noir représentait le prédateur des faons dans 83 % des cas. Le suivi télémétrique des femelles montrait quant à lui que les perturbations anthropiques (coupes et chemins forestiers) forçaient le caribou à augmenter ses déplacements et, conséquemment, la probabilité de rencontrer un prédateur. Aussi, les femelles qui fréquentaient davantage les coupes forestières récentes étaient plus propices de perdre leur faon par prédation, tué par l’ours noir.
Objectifs : Le projet réalisé visait à: 1) caractériser la sélection d’habitat et l’utilisation de l’espace de l’ours noir à différentes échelles spatiotemporelles dans l’aire de répartition continue du caribou; 2) caractériser la réponse de l’ours face à différents types de structures anthropiques; 3) modéliser la réponse de l’ours à différents patrons spatiotemporels de répartition de coupes afin de proposer des stratégies d’aménagement forestier défavorables à l’ours mais compatibles avec les besoins du caribou; 4) estimer les densités d’ours en forêt boréale à l’aide du CMR-génotypage de poils.
Méthodologie : Nous avons capturé 62 ours et en avons équipé 24 d’un collier télémétrique GPS/Argos entre juin 2011 et septembre 2013 dans une aire d’étude impactée par diverses pratiques d’aménagement forestier et autres perturbations anthropiques. Afin de relier les réponses de l’ours à l’écologie du caribou, nous profitons des suivis télémétriques GPS de 78 femelles et VHF de 30 faons caribous, réalisés entre 2004 et 2011 dans la même aire d’étude. Sur chacun des 62 ours capturés, nous avons prélevé un échantillon de sang, de poil, de chair (biopsie à l’oreille) et une dent vestigiale, en plus de collecter toutes les fèces d’ours rencontrées au cours de l’été et ce, afin de caractériser la diète à l’aide d’analyses isotopiques et d’analyses de fèces et ainsi déterminer la part du régime alimentaire estival que représentent les faons de caribou, de même que la proportion d’ours qui consomment des faons. Finalement, nous avons mis en place un réseau de 85 stations appâtées servant à récolter du poil d’ours noir qui a été génotypé (identification de l’ADN) afin d’estimer les densités d’ours noir sur l’aire d’étude.
Résultats obtenus : Les ours suivis par télémétrie sélectionnaient activement les coupes forestières et les chemins forestiers, et semblaient essentiellement rechercher des opportunités alimentaires riches tout au long de l’été. Toutefois, les analyses de diète à partir des fèces suggèrent que les mammifères comptent pour une très faible portion de la diète de l’ours dans l’aire d’étude comparativement aux végétaux et aux fourmis. De plus, aucun des ours suivis par télémétrie n’avait consommé de caribou et les fèces retrouvées dans l’aire d’étude ne contenaient pas de poils ou d’os de caribou.
Ainsi, l’importante pression de prédation par l’ours sur les faons notée dans l’aire d’étude pourrait n’être l’œuvre que de quelques individus isolés. Ces résultats issus des fèces (donc représentant la diète à très court terme) seront sous peu complétés par les analyses isotopiques des différents tissus prélevés.
Finalement, les stations appâtées ont permis la récolte de 3 300 échantillons de poils qui ont récemment été génotypés et qui permettront de calculer un estimé de densité pour l’aire d’étude. Des analyses préliminaires suggèrent que la méthode est efficace et peu biaisée puisque tant les mâles, les femelles que les jeunes fréquentaient les stations appâtées.
Retombées actuelles et prévues : Ce projet constitue la première étude portant sur l’écologie de l’ours noir à être conduite dans l’aire de répartition continue du caribou forestier au Québec. Nous sommes actuellement à modéliser différentes stratégies d’aménagement forestier qui pourraient permettre de limiter la cooccurrence de l’ours et du caribou en forêt aménagée et d’ainsi assister les gestionnaires dans la configuration des opérations. De plus, la méthode d’estimation de densité d’ours noirs que nous utilisons s’avère très efficace pour la réalité québécoise et représente un développement très attendu par les gestionnaires fauniques. Ultimement, ce projet s’insère dans la démarche d’amélioration des approches sylvicoles visant à respecter les engagements québécois en matière de conservation de la biodiversité.
Chercheur responsable
Martin-Hugues St-Laurent, Université du Québec à Rimouski
Équipe de recherche
- Christian Dussault (Ministère des Ressources naturelles et de la Faune)
- Claude Dussault (Ministère des Ressources naturelles et de la Faune)
- Serge Gosselin (Bowater Produits forestiers du Canada inc.)
- Jochen Jaeger (Université Concordia)
- Jean-Pierre Ouellet (Université du Québec à Rimouski)
Durée
2010-2013
Montant
215 000 $
Partenaire financier
- Fonds de la recherche forestière du Saguenay-Lac-Saint-Jean
Appel de propositions
Forêt boréale au Saguenay-Lac-St-Jean