Grâce aux travaux de l’astrophysicien Jonathan Gagné, on connaît désormais deux fois plus de jeunes naines brunes, ces uniques corps célestes.

Aux yeux du quidam, l’astrophysique est une question de télescopes puissants braqués sur l’infini. Pourtant, l’essentiel du travail dans ce domaine s’effectue bien après les observations, à l’aide d’un ordinateur et d’équations sophistiquées qui permettent de réduire en un produit analysable la masse de données brutes récoltées.

C’est ce à quoi excelle l’astrophysicien Jonathan Gagné, le premier et le seul Québécois à avoir obtenu en 2015 la prestigieuse bourse Carl Sagan Fellowship de la NASA.

« Dès mes premiers contacts avec Jonathan lors de son baccalauréat, puis lors de deux stages d’été, j’ai rapidement compris qu’il était très doué pour la programmation, que cela le démarquait », raconte René Doyon, directeur de l’Institut de recherche sur les exoplanètes(iREx) de l’Université de Montréal, qui a codirigé la thèse de doctorat du jeune chercheur.

C’est à l’école secondaire que Jonathan Gagné assimile les bases de la programmation. « J’ai appris sur une calculatrice scientifique, une TI83. J’ai écrit un code pour résoudre l’équation d’une parabole, par exemple », se souvient-il.

Passionné, il continue à programmer pour le plaisir, ce qui lui sera d’une aide indéniable lors de son doctorat à l’iREx.

Lorsqu’il entreprend ses travaux en 2010, Jonathan se plonge dans les données de deux missions d’observation menées par la NASA en 1998 (2Mass) et en 2009 (Wise). Séparées par 11 années, elles offrent deux photographies distinctes du ciel en infrarouge. Mais la masse d’information est colossale. Pour y voir plus clair, l’étudiant développe BANYAN II, un outil informatique inédit basé sur une méthode statistique complexe, l’inférence bayésienne.

Étoiles ratées

Jonathan peut dès lors comparer le déplacement des astres entre les deux époques, en se concentrant sur notre voisinage spatial immédiat. « Tous les objets célestes se déplacent dans la Galaxie, mais certains plus rapidement que d’autres, puisqu’ils sont plus près de la Terre, explique-t-il. C’est comme quand on regarde deux voitures : celle qui est située plus près donne l’impression de se déplacer plus vite que celle qui est loin. »

Ce faisant, Jonathan identifie des objets gazeux qui ressemblent à s’y méprendre à des planètes extrasolaires, mais qui ne sont pas situés autour d’une étoile. Autrement dit, ce sont des objets avec une masse planétaire, qui « flottent », solitaires, au milieu de nulle part. Du jamais vu ! Aujourd’hui, on connaît à peine une dizaine de ces astres isolés, et Jonathan Gagné a contribué à en découvrir la moitié.

Et ce n’est pas tout : ses travaux ont aussi permis de doubler le nombre connu de naines brunes jeunes (et donc encore assez lumineuses pour être repérées par les instruments). Souvent appelées « étoiles ratées », les naines brunes sont plus massives que les planètes géantes, mais pas assez pour être considérées comme des étoiles.

Les naines brunes et les astres isolés se révèlent plus faciles à étudier que les exoplanètes, dont les signatures lumineuses sont contaminées par la lumière des étoiles autour desquelles elles gravitent. « Je peux obtenir des informations beaucoup plus détaillées sur ces objets qui ont des masses, des températures et des compositions atmosphériques similaires à des planètes géantes », souligne Jonathan Gagné. Ce sont donc des modèles parfaits pour mieux comprendre, indirectement, les propriétés des exoplanètes.

Un avenir prometteur

Bien qu’il ne soit pas le premier à se positionner à la frontière de la recherche entre les naines brunes et les exoplanètes, l’astrophysicien de 28 ans fait figure de pionnier. Selon lui, peu de gens travaillent sur les objets isolés, car les données sont difficiles à interpréter. C’est d’ailleurs pourquoi BANYANII lui a été d’une grande utilité : « Cet algorithme m’a permis de cibler directement les objets qui sont d’un grand intérêt et d’ainsi faciliter les découvertes. »

Il poursuit actuellement des études postdoctorales au sein du Carnegie Institution for Science, à Washington. Sans surprise, il recourt aux méthodes développées lors de son doctorat pour identifier d’autres objets isolés de masse planétaire.

S’il est difficile de dire où Jonathan sera dans 5, 10 ou 20 ans, René Doyon est convaincu d’une chose : il est promis à un grand avenir. « À mi-chemin de son doctorat, l’élève avait dépassé le maître : il était déjà une référence dans son domaine », confie le professeur.

Les questions de Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec

R. Q.: Pourquoi l’astrophysique vous passionne-t-elle autant ?

Jonathan Gagné : Je peux explorer les limites de la connaissance humaine, tout en ayant la possibilité de découvrir et d’étudier des mondes qui étaient jusqu’à maintenant inconnus. En pratique, l’astrophysique combine plusieurs aspects que j’aime particulièrement, tels que la programmation, l’observation avec des télescopes situés partout dans le monde et l’apprentissage de méthodes d’analyse en continu. Le sentiment d’accomplissement qui accompagne la publication d’articles scientifiques est aussi très intéressant; on sent vraiment qu’on construit quelque chose.

R. Q.: En quoi vos recherches sont-elles intéressantes pour Monsieur et Madame Tout-le-Monde ?

J.G. : L’intérêt principal de mes recherches est de faire avancer les connaissances humaines fondamentales. L’intérêt le plus direct pour le grand public est donc de satisfaire la curiosité de comprendre comment l’Univers fonctionne, et même éventuellement de tenter de déterminer s’il existe de la vie ailleurs.

R. Q.: En quoi l’obtention d’une bourse Carl Sagan a-t-elle changé votre parcours de jeune scientifique ?

J.G. : Cela m’a permis de diriger mon propre projet sur l’étude des objets isolés de masse planétaire, tout en ayant accès à des ressources exceptionnelles, telles que les télescopes Magellan au Chili, et l’opportunité d’effectuer mes recherches à la Carnegie Institution for Science.

R. Q.: Comment devrait-on inciter les jeunes à penser faire carrière en recherche ?

J.G. : Je crois que l’une des façons serait de les mettre en contact avec les scientifiques pour qu’ils puissent être plus au courant des types de recherche qui se font et même simplement du fait qu’une carrière dans le domaine est possible. Il est aussi très important de vulgariser la recherche actuelle pour stimuler la curiosité des jeunes.

Cette entrevue est parue dans Québec Science, un magazine scientifique pour le grand public.