Grâce aux travaux de Maxime Descoteaux, il est désormais possible de cartographier l’ensemble du cerveau humain sans toucher à un poil de la boîte crânienne.

Dans la bouche de Maxime Descoteaux, le cerveau devient un enchevêtrement de routes, de voies rapides et de chemins de traverse sur lesquels circulent, comme des voitures, des molécules d’eau. Sa spécialité, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) de diffusion couplée à des algorithmes informatiques et des modèles mathématiques, permet au professeur du Département d’informatique de l’Université de Sherbrooke de cartographier ce vaste réseau de manière non effractive. Ou, comme il aime le vulgariser, d’« obtenir un Google Maps du cerveau ».

« C’est exactement comme dans le cas d’un satellite qui prend des photos. Ce qui m’intéresse, ce ne sont toutefois pas les autoroutes 20, 10 ou 30, dont nous avons une bonne idée de la configuration, mais bien les routes secondaires, tout particulièrement celles paralysées par des chantiers de construction », explique le chercheur de 39 ans. Son approche novatrice fait aujourd’hui partie intégrante de protocoles de recherche sur les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, la sclérose en plaques et les commotions cérébrales, entre autres troubles.

Pour ses travaux, Maxime Descoteaux a été nommé lauréat 2019 du prix Relève scientifique. Il s’agit de l’un des 15 Prix du Québec décernés annuellement par le gouvernement du Québec et qui est attribué à une personnalité de 40 ans ou moins s’étant illustrée en sciences. Un honneur que le principal intéressé, un joueur de tennis invétéré, compare au trophée de Wimbledon. « Après presque 20 ans de travail dans l’ombre, cette récompense représente une véritable tape dans le dos, un encouragement à continuer à me dépasser », souligne le titulaire de la Chaire de recherche en neuro-informatique.

Traquer les nids-de-poule

Le câblage cérébral est comme un paquet de spaghettis cuits : il est très dense et noueux. Bloquées par ces obstacles, les molécules d’eau, qui composent les trois quarts de notre cerveau, n’ont d’autre choix que de circuler le long des neurones et de leurs axones, de longues fibres nerveuses qui font office de routes. C’est ce mouvement distinct que capte l’IRM dite de diffusion, une technique d’analyse des images obtenues par résonance magnétique qui repose sur la diffusion des molécules d’eau dans la matière blanche. Mais attention : ce n’est qu’un début. « L’acquisition d’images prend à peine quelques minutes. Ce qui est long, c’est leur traitement : de l’ordre de plusieurs heures pour une reconstruction minutieuse aux fins de recherche », précise Maxime Descoteaux.

C’est ici qu’entrent en jeu les savants calculs mathématiques du scientifique. Ces derniers permettent de donner un sens à l’amas indigeste d’images des 85 milliards de neurones du cerveau humain, lesquels partagent entre eux 850 milliards de connexions. « Pour chaque point du cerveau, nous déduisons le déplacement des molécules d’eau grâce à des probabilités. Ces millions de calculs alimentent ensuite un algorithme de tractographie responsable de brosser un tableau d’ensemble », indique-t-il.

À l’heure actuelle, les outils utilisés par Maxime Descoteaux sont dotés d’une résolution « moyenne », de l’ordre du millimètre. Pour percevoir les neurones et leurs axones, une définition de l’ordre du micromètre, 1 000 fois plus petit, sera nécessaire. « C’est comme si les pixels qui constituent nos images représentaient chacun un kilomètre à la surface de la Terre. C’est bien, mais insuffisant : nous voulons qu’ils représentent chacun un mètre de manière à percevoir les nids-de-poules sur la route », illustre-t-il. Une révolution technologique sera néanmoins nécessaire pour atteindre cet objectif, estime-t-il.

Utile à la société

En attendant, Maxime Descoteaux fait bon usage de son savoir. La technologie qu’il a conçue est déjà régulièrement utilisée par des neurochirurgiens pour retirer des tumeurs par exemple. En outre, il a cofondé la compagnie Imeka Solutions en 2012 avec Pierre-Marc Jodoin, également professeur au Département d’informatique de l’Université de Sherbrooke. Le but de cette jeune pousse de 13 employés : accélérer le transfert de connaissances en matière d’IRM de diffusion et d’intelligence artificielle, notamment dans l’industrie pharmaceutique.

Imeka Solutions a d’ailleurs un pied-à-terre à Boston, où les Novartis, Sanofi et autres Pfizer sont concentrés. « Nous voulons convaincre les pharmaceutiques de faire appel à notre technologie dans leurs études cliniques. En ce moment, on administre des médicaments qui modifient la chimie du cerveau sans toutefois savoir comment ils agissent précisément », regrette Maxime Descoteaux. À son avis, c’est en établissant de tels ponts entre le monde universitaire et celui des affaires qu’il est le plus utile à la société. « Au-delà de mes beaux articles, je désire que mes travaux changent des vies », assure-t-il.

Pierre-Marc Jodoin reconnaît bien là son collègue et partenaire d’affaires, « un personnage hors norme, très compétitif, mais pas bourreau de travail pour deux sous » avec qui il collabore depuis une dizaine d’années. « Maxime n’est pas du tout du type professeur Tournesol. Au contraire : il est un chercheur très terre à terre et anormalement structuré. Il déteste être dans le flou et ne laisse donc pas de place à l’improvisation. En même temps, il est d’un commerce très agréable et touche un peu à tout », conclut-il.

Les questions de Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec

RQ : Si vous aviez des ressources illimitées, quel projet rêveriez-vous de mettre sur pied?

MD : Les neurochirurgiens peuvent voir et mesurer le cerveau et, potentiellement, le changer en le déconnectant ou en modifiant ses connexions. Voilà pourquoi je rêve d’un projet de neurochirurgie qui combinerait une imagerie par résonance magnétique [IRM] intraopératoire avec une acquisition et une reconstruction du connectome de manière ultrarapide. Pour y arriver, il faudrait réunir plusieurs conditions : équiper des centres hospitaliers universitaires d’appareils IRM intraopératoire au Québec et à l’étranger; avoir une entente de recherche avec un fabricant d’appareils IRM pour accéder aux paramètres cachés de la machine; rendre l’analyse d’images en temps réel; obtenir les images par résonance magnétique avant, pendant et après les opérations, ce qui implique d’avoir accès aux neurochirurgiens et à leurs patients; recevoir toutes les données de ces mêmes patients et les surveiller; enfin, partager ces données avec la communauté scientifique tout en assurant leur protection et leur anonymat.

RQ : Vous parlez de la nécessité d’une révolution technologique pour augmenter la résolution des outils que vous avez conçus. De quel ordre sera cette révolution?

MD : On doit repousser les limites de la physique et des instruments mis au point par les ingénieurs. On a besoin de nouveaux outils d’imagerie moins chers que l’IRM, qui peuvent reconstituer le connectome rapidement et précisément. Je pense à un appareil qui ressemblerait à une lampe de poche, un miniultrason ou un téléphone cellulaire qu’on balaierait sur le cerveau et qui reconstruirait sa carte intégralement.

RQ : Où en sera votre technologie dans 10 ans?

MD : Cette technologie commencera à influencer réellement la clinique et l’industrie pharmaceutique. Surtout en ce qui a trait à la découverte de nouveaux traitements et médicaments pour les maladies neurodégénératives et les traumatismes crâniens. La médecine pourra mieux cibler les zones pertinentes du cerveau à évaluer et à soigner, mieux comprendre les mécanismes complexes des réseaux neuronaux en jeu et être plus à même de se concentrer sur le vrai problème avec précision, comme la neuro-inflammation ou la mort d’axones.

RQ : Quels sont les défis pour un chercheur qui se lance dans l’entrepreneuriat?

MD : Le fait d’être professeur d’université m’a en quelque sorte préparé à l’entrepreneuriat. Un professeur doit faire preuve d’un sens des affaires pour monter un laboratoire avec des employés compétents et des ressources stables. Il doit bien vendre ses idées pour avoir du succès. C’est la même chose pour un entrepreneur. Par contre, il est plus difficile de financer une technologie et de la vendre à un client que de convaincre des éditeurs de publier un article.

Les défis résident dans la communication avec l’industrie, qui n’évolue pas au même rythme que la science. Présentement, notre technologie est loin devant ce qui se fait sur le marché. Il faut donc parvenir à l’expliquer le plus simplement possible, exposer des résultats concrets et prendre l’industrie par la main pour la persuader progressivement de l’intérêt de nos travaux.

Cette entrevue est parue dans Québec Science, un magazine scientifique pour le grand public.