Miriam Beauchamp doit sa carrière en recherche au neurologue Oliver Sacks – du moins, en partie.

Comme tant d’autres, elle a découvert, à travers les écrits de ce vulgarisateur scientifique, notamment L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, les effets spectaculaires que de simples lésions cérébrales peuvent avoir sur le comportement. « J’étais fascinée par la capacité d’Oliver Sacks à faire le pont entre l’anecdotique et la science », raconte-t-elle.

Dans son laboratoire de neuropsychologie développementale ABC, au Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine, la neuropsychologue pédiatrique étudie les conséquences néfastes d’atteintes au cerveau chez les tout-petits. Une question de recherche la turlupine tout particulièrement depuis qu’elle a commencé à s’intéresser au sujet, il y a maintenant 10 ans : comment les commotions cérébrales et les traumatismes craniocérébraux (TCC) influencent-ils le développement social des nourrissons, des enfants et des adolescents ?

« Les enfants en bas âge victimes d’un TCC ne se plaignent pas qu’ils souffrent de problèmes de mémoire ou qu’ils ont de mauvaises notes à l’école. Ce sont là des préoccupations d’adultes ! Ils rapportent plutôt qu’ils ont moins d’amis, qu’ils sont exclus d’activités sociales et qu’ils ont de la difficulté à entretenir des relations interpersonnelles de belle qualité », explique Mme Beauchamp qui est également professeure au département de psychologie de l’Université de Montréal.

Cette avenue de recherche originale a d’ailleurs valu à Miriam Beauchamp le prix Relève scientifique lors de la plus récente cérémonie des Prix du Québec, en novembre 2017. Créé pour souligner le 40e anniversaire des Prix du Québec, cet honneur est remis à une personnalité de 40 ans et moins s’étant illustrée en sciences.

Pronostic parfois sombre

Tous les jours, de deux à huit enfants ayant eu un impact à la tête se présentent à l’urgence du CHU Sainte-Justine. De ce nombre, environ le tiers (29 %) reçoit un diagnostic de TCC, selon un rapport de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) paru en février dernier. Toujours selon l’INESSS, 83 % des TCC sont « légers », autre terme pour désigner les commotions cérébrales. Parmi ceux-ci, plus de la moitié (53 %) concernent des enfants de moins de cinq ans, le groupe d’âge qui intéresse surtout Miriam Beauchamp. Les causes de ces impacts sont nombreuses, depuis le bambin qui se frappe la tête en tombant de la table à langer jusqu’à l’intrépide qui déboule les escaliers.

La vaste majorité des jeunes victimes de commotions cérébrales récupèrent heureusement de l’événement dans un délai de trois mois et n’en garde pas de handicaps cognitifs importants. Chez les autres, le pronostic est cependant plus sombre, et ce, en dépit de leur âge tendre. « On a longtemps cru qu’un cerveau en plein développement est malléable, donc qu’il récupère plus vite d’un choc. Ce qu’on sait maintenant, c’est qu’il peut subir des séquelles importantes qui vont ralentir les apprentissages de l’enfant et modifier sa trajectoire de vie », nuance la chercheuse.

Si les troubles cognitifs n’apparaissent que dans les cas les plus graves, il en va différemment des conséquences sociales. Des suites se manifestent et persistent pendant plusieurs mois, tant dans les cas légers de TCC que pour les cas plus lourds. Dans une étude publiée en 2016 par la revue Journal of Neuropsychology, l’équipe de Miriam Beauchamp rapporte en effet que les enfants qui subissent une commotion cérébrale ont de moins bonnes interactions avec leurs parents, six mois après l’incident. L’étude a été menée auprès de plus de 130 enfants âgés de 18 mois à 5 ans. En moyenne, ceux ayant subi une commotion cérébrale ont démontré davantage de comportements négatifs que leurs vis-à-vis sains, même si certains enfants s’en sortent sans problème.

Cette conclusion n’est pas anodine. De toutes les relations qu’un enfant entretient, celle avec ses parents est de loin la plus importante, car elle présage ses compétences sociales futures. « Nous voulons maintenant savoir si le phénomène persiste au fil du temps ou s’il s’amoindrit. Aussi, nous voulons mieux comprendre les facteurs qui prédisent une baisse de la qualité des interactions sociales. Est-ce à cause de l’enfant ? Du parent ? De la sévérité de la blessure ? Nous l’ignorons pour l’instant », souligne-t-elle.

Combler un vide

À plus long terme, ces travaux pourraient mener à la mise sur pied de programmes d’intervention pour les enfants victimes de commotions cérébrales. De manière plus fondamentale, ils aident déjà les professionnels de la santé à calmer les inquiétudes des parents de jeunes victimes d’impacts à la tête, fait valoir Jocelyn Gravel, urgentologue au CHU Saint-Justine et proche collaborateur de Miriam Beauchamp; il se charge entre autres du recrutement de ses sujets.

« Avant que Miriam commence à travailler sur ce projet, nous n’avions pas de réponses à fournir aux parents : la littérature considérait les enfants comme de petits adultes, ni plus ni moins ! Aujourd’hui, on sait que c’est faux. » Selon lui, c’est là l’originalité des travaux de sa collègue. « Elle n’est pas carriériste pour deux sous et veut vraiment le bien de ses patients. Je ne suis pas surpris qu’on lui ait décerné un Prix du Québec », conclut M. Gravel.

Les questions de Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec

R.Q. : Quels défis avez-vous rencontrés dans votre carrière de jeune chercheuse ?

M.B. : Les chercheurs sont appelés à être très polyvalents. C’est un défi de se maintenir à jour dans une multitude de disciplines et de techniques, tout en innovant; surtout avec la technologie et les connaissances en constante évolution. En même temps, c’est ce qui fait que le travail de recherche est toujours différent et passionnant.

R.Q. : Quelles avenues de recherche aimeriez-vous maintenant explorer ?

M.B. : Je mets sur pied un nouveau projet auprès de jeunes enfants (six mois à six ans) qui subissent des commotions cérébrales. C’est un projet d’envergure en partenariat avec plusieurs hôpitaux canadiens et on espère que ce sera la plus grande cohorte de ce genre au monde. Cela devrait me garder occupée pendant un certain temps !

R.Q. : Si vous aviez un autre grand projet audacieux sur lequel vous aimeriez vous concentrer, quel serait-il ?

M.B. : J’utiliserais des technologies dynamiques, immersives et attrayantes pour les jeunes afin de créer de nouveaux outils d’évaluation et d’intervention. Par exemple, la réalité virtuelle et augmentée, les tablettes numériques, les jeux vidéo sérieux, les robots éducatifs, les applications et l’intelligence artificielle en santé offrent des avenues intéressantes pour favoriser la réadaptation et les apprentissages chez les jeunes.

R.Q. : Qu’est-ce que ce Prix du Québec signifie dans votre carrière ?

M.B. : Je suis sincèrement honorée d’être reconnue comme un exemple pour les chercheurs scientifiques en émergence. Je vois ce prix comme une reconnaissance de mes travaux, mais aussi comme un catalyseur pour les années à venir. Cette distinction est fort encourageante, car elle démontre que les efforts des jeunes chercheurs sont remarqués et que la relève occupe une place notable dans la communauté scientifique.

Cette entrevue est parue dans Québec Science, un magazine scientifique pour le grand public.