Les secrets de la reproduction en environnement fluctuant

Plusieurs écosystèmes présentent une dynamique pulsée de leurs ressources, définie par de rares épisodes de productivité élevée, qui engendrent des effets démographiques en cascade sur les consommateurs à différents niveaux trophiques. La production synchronisée, mais intermittente d’espèces d’arbres illustre cette dynamique ; l’accès aux ressources affecte la capacité des consommateurs à optimiser leur survie et reproduction en fonction de leur train de vie ?lent/conservateur’ ou ?rapide/opportuniste’. Cependant, les mécanismes impliqués dans la réponse développementale des consommateurs et les conséquences écologiques de ce phénomène adaptatif sur la dynamique des populations demeurent méconnues. Les études longitudinales produisent des résultats inestimables pour déceler l’effet de l’environnement sur la biodémographie des populations et leurs répercussions écologiques. En revanche, cette approche observationnelle ne parvient pas à détecter les compromis d’histoire de vie qui sont parfois masqués par la variation dans l’abondance des ressources alimentaires. Nous proposons d’effectuer une manipulation expérimentale à large échelle afin de révéler ces compromis et d’en étudier les causes, les conséquences et les mécanismes précis. Nos recherches sur les tamias rayés, dans le sud du Québec depuis 2005, constituent une des rares bases de données québécoises à long terme sur une population naturelle d’individus marqués. Ces tamias se reproduisent généralement une fois par année, selon la production intermittente, mais synchronisée (mast) de graines d’érable rouge et de hêtres à grandes feuilles. Ils génèrent ainsi deux types de cohortes, l’une à l’été du mast, et l’autre au printemps suivant. Les cohortes d’été, rapides, peuvent se reproduire pour la 1ère fois à 7 mois, alors que les cohortes de printemps, lentes, doivent attendre au minimum 15 mois. Cette plasticité reproductive et en train de vie est aussi visible sur le plan physiologique et comportemental. Par contre, il reste à établir les mécanismes qui lient les ressources au déclenchement de la reproduction et au développement plastique des individus, ainsi que les impacts démographiques de ces variations en trains de vie. Nous proposons de combiner nos observations longitudinales à une manipulation expérimentale à large échelle afin d’étudier : 1) les effets des ressources pulsées sur la covariance reproduction/survie?; 2) les effets transgénérationnels de cohorte et de plasticité développementale du train de vie?; et 3) les contributions démographiques spécifiques à chaque train de vie. Un site servira de témoin et les individus de deux autres sites recevront soit une supplémentation alimentaire, soit une supplémentation accompagnée d’une dose de vitamine B3, un précurseur important de la reproduction. Nous comparerons de nombreux marqueurs physiologiques et moléculaires comme les télomères, le cortisol et l’immunité à notre suivi à long terme. Ce projet de recherche novateur offrira une analyse longitudinale et comparative entre variations naturelles et expérimentales des ressources nous permettant de quantifier ces effets et leurs conséquences démographiques. Il contribuera à mieux comprendre l’importance écologique de différents trains de vie et leurs conséquences sur la démographie et l’évolution des populations.