Responsable : 
Jonas-Sébastien Beaudry

Établissement : 
Université McGill

Année de concours : 
2020-2021

Table des matières

  1. Résumé du projet

1. Résumé du projet

Oppression somatique et autonomie relationnelle: réexaminer l’aide médicale à mourir dans une optique féministe

L’aide médicale à mourir (AMM) est devenue une composante du paysage médico-légal canadien par le biais de procédures judiciaires et législatives successives, à commencer par la Loi sur les soins de fin de vie du Québec en 2014 et aboutissant par la modification du Code criminel en 2016. Deux positions principales concernant l’accès à l’AMM ont émergé dans les discours publics et universitaires : (1) une position restrictive préconisant une interdiction ou des conditions d’éligibilité plus stricts et (2) une stratégie expansionniste préconisant un accès plus large à l’AMM. La position restrictive s’articule autour de l’importance de protéger les personnes vulnérables et la politique expansionniste repose sur la valeur de l’autonomie.

Bien que les deux positions reconnaissent l’impact de l’oppression (en particulier du « capacitisme ») sur l’autonomie, elles n’ont pas de conceptions relationnelles (1) des dimensions de l’autonomie en jeu (actuellement axées sur le « consentement ») ; (2) des menaces qui pèsent sur l’autonomie (présentement limitées aux notions viciant le consentement) ; (3) de l’injustice de cette menace (actuellment formulée en termes de paternalisme et violation de l’intégrité physique) ; (4) des recours nécessaires (présentement : accès ou non-accès à l’AMM).

En conséquence, un certain nombre de problèmes, tels que l’oppression intériorisée et la pénurie d’options sociales, n’ont pas reçu suffisamment d’attention. Ces problèmes seraient mieux confrontés si les discussions juridiques incorporaient les notions d’oppression somatique (discrimination et stigmatisation fondées sur des aspects corporels), développée en études sur le handicap, et d’autonomie relationnelle, développée en théorie féministe.

Le concept d’autonomie relationnelle a gagné en popularité dans les cercles philosophiques et juridiques au cours des trente dernières années. Ses partisans considèrent l’autonomie comme une capacité qui s’exerce socialement dans le processus de construction d’un « moi relationnel ». Les bioéthiciens féministes ont utilisé « l’autonomie relationnelle » pour critiquer les limites de la doctrine du «consentement libre et éclairé» dans le contexte des soins de santé. Il est surprenant qu’au milieu de polémiques polarisant la communauté des personnes handicapées, le public et les universitaires, les théoriciens de l’autonomie relationnelle n’aient pas prêté attention aux types d’oppression susceptibles d’affecter l’autonomie des populations socialement vulnérables dans le contexte de l’aide médicale à mourir.

Ce projet interdisciplinaire propose de faire appel aux théories relationnelles et aux études sur le handicap pour permettre aux chercheurs en droit de remédier à cette lacune. Plus spécifiquement, il opérationnalisera les conceptions « d’oppression somatique » et « d’autonomie relationnelle » dans une analyse juridique des droits à  la liberté.

Cet appareil conceptuel profitera aux activistes et aux juristes engagés dans des consultations gouvernementales et des litiges stratégiques, par exemple, en justifiant de développer un soutien social adéquat pour les patients envisageant l’AMM. Si nos recherches suggèrent que l’oppression somatique constitue une menace plausible à l’autonomie des patients, mes résultats pourront servir de base conceptuelle à des recherches empiriques permettant de déterminer quels facteurs sociaux liés à la suicidalité ont un impact concret sur la prise de décision des patients et s’ils peuvent être circonscrits par des mesures sociales.