Le 17 avril dernier, la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) a produit une analyse à partir de données des états financiers des Fonds de recherche du Québec (FRQ). Une analyse qui, écrit-on, «dévoile une situation inquiétante, présentée de manière trompeuse par les promoteurs du projet de loi n° 44 (PL44) : s’il est vrai que le budget total des FRQ s’est accru depuis sa prise en charge par le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (MÉIÉ), ce sont les subventions avec modalités, qui soutiennent la recherche ciblée, qui ont augmenté, alors que la part relative du financement sans modalités, permettant la recherche libre, a diminué de façon importante.»  

Une analyse qui alimente la confusion

L’analyse faite par la FQPPU est erronée et vient malheureusement semer la confusion au sein de la communauté scientifique. Une confusion qui tient à ce que les auteurs de l’analyse appellent «les subventions avec modalités qui soutiennent la recherche ciblée», sans aucunement définir de quoi il en retourne. Or, pour la FQPPU, les sommes avec modalités sont synonymes de recherche ciblée ou orientée, ce qui est FAUX.

Dans les états financiers de chacun des Fonds, il y a une distinction comptable entre des revenus sans modalités et des revenus avec modalités. La définition comptable de revenus avec modalités signifie qu’une convention de transfert de sommes est signée entre le cédant (le gouvernement) et le bénéficiaire (le Fonds). Cette convention précise la hauteur des sommes et la durée des versements ponctuels. Une somme avec modalités peut être pour la recherche libre ou ciblée.

Par exemple, la plus grande part des sommes de la Stratégie québécoise de recherche et d’investissement en innovation (SQRI2), considérée avec modalités, que reçoivent les Fonds est destinée aux bourses d’excellence (financement d’une quatrième année de bourse pour tous les doctorants et doctorantes et de 150 bourses supplémentaires) et aux regroupements de recherche (regroupements stratégiques, équipes, centres et réseaux) déjà soutenus par les Fonds, tous des programmes non orientés. Ce n’est pas le gouvernement qui cible là où devraient aller précisément ces sommes de la SQRI2, ce sont les conseils d’administration qui décident à la suite de propositions faites par les directions des Fonds.

En 2022-2023, 149,8M$ (84,9M$ + 64,9M$) sont des sommes avec modalités, dont 84,9M$ pour la recherche libre et fondamentale. En y ajoutant les crédits de base sans modalités (176,3M$) destinés aussi à la recherche libre et fondamentale, on obtient un montant de 261,2M$, ce qui représente 80% du budget global (326,1M$) des Fonds pour l’année 2022-2023. L’analyse de la FQPPU arrive à 54% du budget des Fonds en associant la recherche libre et fondamentale qu’aux sommes sans modalités.

Comme mentionné dans notre mémoire et lors des auditions en commission et du webinaire du 5 avril 2024, la part du budget des Fonds destinée à la recherche libre et fondamentale est de 80%, alors que celle consacrée à la recherche orientée est de 20%, laquelle comprend tous les programmes en partenariat et la part de la SQRI2 en lien avec les grands défis de société. Mentionnons que les programmes en partenariat des Fonds représentent la grande part du financement de la recherche orientée. Des recherches orientées sur les besoins de partenaires surtout ministériels, lesquelles visent à terme à améliorer ou à développer des approches, des pratiques, des interventions ou des produits, ou à élaborer des programmes ou des politiques publiques (ex. en matière d’éducation, de santé, d’environnement, d’immigration, de pauvreté, etc.). On voit difficilement la visée mercantile de ces programmes en partenariat tant décriée par les opposants au PL44.

Une faible proportion du financement de la recherche orientée provient de la SQRI2 en lien avec les grands défis de société, soit les changements climatiques et le développement durable; le vieillissement de la population et les changements démographiques; la créativité et l’entrepreneuriat scientifique; le dialogue science et société. Quel que soit le programme de recherche orientée des Fonds, les chercheurs et les chercheuses ont toujours la liberté d’y proposer ou non une demande de subvention!

Bref, contrairement à la conclusion de l’analyse de la FQPPU, depuis que les Fonds sont revenus sous la responsabilité du ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, en 2016, le budget de la recherche libre et fondamentale est passé de 189,6M$ en 2015-2016 à 261,2M$ en 2022-2023, soit une hausse de 38%, et non une baisse de 17% comme l’affirme la FQPPU.

Notez qu’à compter de l’année 2023-2024, et ce pour les cinq prochaines années, les Fonds bonifient la valeur des bourses de maîtrise et de doctorat, grâce à une enveloppe de 50M$ (10M$ par année), obtenus à la suite de représentations du scientifique en chef auprès des autorités gouvernementales. Bien qu’il s’agisse d’un revenu avec modalités, les bourses qui sont bonifiées proviennent de concours d’excellence de nos programmes réguliers non ciblés. Une fois de plus, ce n’est pas le gouvernement qui détermine les secteurs et les disciplines qui devraient être privilégiés par ce budget de 50M$, ce sont les conseils d’administration qui décident à la suite de propositions faites par les directions des Fonds : les Fonds ont augmenté la valeur de toutes les bourses actives (concours et engagement) de maîtrise et de doctorat, et ce, sans exception. 

Autres propos qui déforment la réalité

Outre l’analyse de la FQPPU, certains propos qui circulent au sujet du PL44 déforment la réalité. La lettre endossée par plus de 2100 signataires affirme que «Le gouvernement retire par la même occasion au ministère de l’Enseignement supérieur toute responsabilité en matière de recherche scientifique, rien de moins». La recherche et développement au Québec s’élève, selon les plus récentes données de l’Institut de la statistique du Québec, à 11,6G$ en 2021 De ce montant, 2,1G$ proviennent de l’enseignement supérieur. Avec le PL44, cette part demeure à l’enseignement supérieur. Le PL44 vise seulement les Fonds qui, dans les faits, relèvent déjà du ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie. Il est faux de dire que le gouvernement retire au MES toute responsabilité en matière de recherche scientifique pour la transférer au MÉIÉ. Il serait ainsi utile de rappeler les missions des deux ministères : si la croissance ou l’essor économique n’est pas que l’affaire du MÉIÉ, l’essor de la recherche est explicite.

  • MES : «Soutenir la communauté étudiante et les établissements d’enseignement et promouvoir l’enseignement supérieur afin de contribuer, de façon durable, à l’essor économique, social et culturel du Québec. »
  • MÉIÉ : «Soutenir la croissance durable de l’économie du Québec, de contribuer à l’essor de la recherche et de l’innovation ainsi que de s’assurer d’une gouvernance responsable des ressources énergétiques. »

D’autre part, dans un article paru le 23 avril 2024 dans le journal Le Soleil, on peut lire que «les chercheurs en technologie, en santé et en culture se retrouveraient tous à piger dans la même enveloppe, sous la supervision du ministère de Pierre Fitzgibbon.» Il n’y a rien de plus FAUX comme image. Le PL44 fait actuellement l’objet d’une lecture article par article en commission parlementaire et plusieurs amendements ont déjà été apportés. L’un d’eux prévoit l’établissement de budgets distincts par secteur de recherche sur la base de leurs caractéristiques propres, en visant une stabilité de la proportionnalité du financement pour chacun d’eux. Un autre amendement porte sur la prépondérance du soutien financier du Fonds à la recherche libre.

Par ailleurs, le PL44 ne vient en rien modifier le processus d’octroi des Fonds. Que ce soit pour les programmes réguliers de recherche libre et fondamentale ou pour les programmes de recherche en partenariats, les demandes de financement soumises aux Fonds sont évaluées par des comités de pairs. Par la suite, les décisions d’octrois sont prises par les conseils d’administration sans que ceux-ci aient accès pour quelque raison que ce soit aux listes des demandes évaluées et ordonnées au mérite par les comités d’évaluation. En aucun cas, le ministre ou le ministère ne s’ingère dans le processus. Avec un seul Fonds, la logique sera la même.

Afin, contrairement à ce que laisse entendre l’article du journal Le Soleil, l’ensemble des mémoires déposés en commission parlementaire ne sont pas négatifs et recommandent des modifications au PL44. À cet effet, plusieurs des recommandations, notamment celles du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI), de l’ACFAS et de l’Union étudiante du Québec (UÉQ) ont fait l’objet de discussion en commission parlementaire et ont été intégrées sous forme d’amendements. L’article du journal aurait dû tenir compte des avancées du PL44.

Renseignements :

refonteFRQ@frq.gouv.qc.ca

Consultez la page Zoom sur le projet de loi 44