Fiorenzo Vetrone met au point des nanoparticules à base de terres rares qui pourraient modifier la manière dont on traite les cancers.

En chimie, le dopage n’a rien à voir avec la prise d’une substance destinée à améliorer les performances sportives. L’action consiste plutôt à ajouter un élément, sous forme d’atomes, à un matériau pour en modifier ou en améliorer certaines caractéristiques, parfois considérablement. C’est ce que fait Fiorenzo Vetrone, professeur au Centre Énergie Matériaux Télécommunications de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), avec des particules de 15 à 25 nanomètres composées de quelques centaines d’atomes seulement. Il transforme ces dernières en « nanosuperhéros » grâce à l’erbium et au thulium, deux métaux du groupe des terres rares aux propriétés luminescentes uniques.

« Les nanoparticules dopées à ces terres rares peuvent être stimulées par de la lumière près du spectre de l’infrarouge. Nous étudions la possibilité d’exploiter ce mécanisme pour le traitement de maladies telles que le cancer », explique le plus récent lauréat du prix Keith Laidler de la Société canadienne de chimie. Remise à un chercheur en début de carrière, cette distinction reconnaît des contributions exceptionnelles à la chimie physique et souligne l’excellence de la recherche effectuée au Canada par un scientifique y résidant.

Frappe chirurgicale

Cette technique est connue sous le nom de « thérapie photodynamique » et, à vrai dire, elle est déjà utilisée en clinique pour traiter des tumeurs cancéreuses. Après avoir injecté un médicament photosensibilisant au patient, les oncologues bombardent les cellules malignes de rayons. Ceux-ci excitent la molécule photosensible, qui réagit en produisant des dérivés réactifs de l’oxygène, des composés toxiques au fort potentiel destructeur. Seul problème : la lumière employée se situe dans le spectre visible, ce qui signifie qu’elle ne peut pénétrer la peau. C’est pourquoi cette thérapie est surtout utile pour les cancers cutanés ou sous-cutanés.

Les rayons dans le proche infrarouge, eux, permettent de contourner cet écueil. « Ils pénètrent mieux les tissus et n’engendrent aucune interférence avec les autres molécules du corps. On peut donc y recourir pour exciter les nanoparticules dopées aux terres rares de manière à intervenir localement sur des tumeurs cancéreuses profondes », avance Fiorenzo Vetrone. Mais encore faut-il être en mesure d’acheminer lesdites nanoparticules aux cellules malades sans créer de dommages collatéraux sous forme d’effets secondaires nocifs, comme le font plusieurs chimiothérapies.

Pour ce faire, le chercheur mise sur une nanocapsule de silice, élaborée en collaboration avec des collègues de l’INRS et de l’Université nationale de Singapour. Publiés dans le journal Chemical Science, les travaux ont débouché sur une capsule à l’enveloppe plus performante : elle est conçue pour laisser pénétrer la quantité de lumière suffisante pour stimuler les molécules. Une avancée qui à la fois facilitera le transport du médicament et amplifiera la polyvalence de la thérapie photodynamique.

Encore du pain sur la planche

Bien qu’encourageants, ces résultats sont préliminaires. « Les nanoparticules dopées aux terres rares ont fait leurs preuves en laboratoire, mais pas in vivo, c’est-à-dire sur des organismes vivants. Il faudra encore 10 ans de recherche, si ce n’est pas plus, avant une éventuelle utilisation en clinique sur des patients », pense Fiorenzo Vetrone. Le scientifique planche en outre sur la mise au point de nouveaux procédés pour la détection précoce de cancers. Grâce à leurs propriétés luminescentes, ses nanoparticules aux terres rares pourraient servir à délimiter les tumeurs naissantes.

À terme, ces travaux pourraient néanmoins déboucher sur une révolution médicale en cancérologie, estime Marta Cerruti, professeure associée en génie des mines à l’Université McGill et proche collaboratrice de Fiorenzo Vetrone. « Les traitements de certains cancers, comme celui du cerveau, se sont peu améliorés dans les dernières années. Le recours à des médicaments photosensibilisants encapsulés pourrait changer la donne, dit-elle. À titre de pionnier des nanoparticules dopées aux terres rares, Fiorenzo est le fer de lance de ces recherches. »

Les questions de Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec

RQ : Que représente ce prix pour vous? Quel élan donne-t-il à votre carrière?

FV : Ce prix souligne de nombreuses années de travail consacrées au domaine des nanoparticules luminescentes dopées aux terres rares. Bien que le Canada possède d’importantes réserves de ces métaux, peu de chercheurs au pays s’y intéressent de près. Pourtant, ces éléments sont utilisés dans un grand nombre de nos produits quotidiens tels que les écrans, les téléphones portables, les automobiles, etc. Avec la collaboration de collègues d’autres secteurs, mon objectif est de faire du Canada un acteur majeur de l’industrie des terres rares, notamment pour leur application en médecine.

RQ : Vous dites qu’il faudra encore 10 ans avant de voir vos travaux appliqués en clinique. Voyez-vous une utilisation à plus court terme de ceux-ci? 

FV : Tout à fait, surtout pour des applications qui ne nécessitent pas d’approbation clinique. Par exemple, certaines des émissions luminescentes de ces nanoparticules sont sensibles à la température. Nous y avons donc eu recours comme nanothermomètres sans contact et non invasifs pour mesurer la température de cellules vivantes [in vitro]. Grâce à ces dernières, on peut étudier de nombreux processus biologiques fondamentaux, puisque la température est un paramètre clé en biologie. Compte tenu de leurs propriétés optiques polyvalentes, les nanoparticules luminescentes peuvent également servir de sondes d’imagerie en remplaçant les colorants organiques traditionnels. De plus, nous étudions leur potentiel comme capteurs fluorescents pour détecter des maladies, des agents pathogènes et même des contaminants dans l’eau.

RQ : Croyez-vous que la société a une bonne compréhension de ces incontournables délais entre les succès en laboratoire et leur application clinique?

FV : Je sais que plusieurs personnes atteintes de maladies comme le cancer ont le cœur brisé quand elles comprennent que nous sommes encore loin du but. Après la publication d’un article sur notre travail, un homme a laissé un message dans ma boîte vocale au bureau. Sa sœur souffrait d’un cancer et il espérait que je pourrais l’aider. En toute honnêteté, c’est la partie la plus difficile de mon travail. Ce type de recherche peut être très long, mais nous devons faire confiance au processus.

Cette entrevue est parue dans Québec Science, un magazine scientifique pour le grand public.