Les suppléments d’oméga-3 préviennent-ils vraiment le déclin cognitif ? C’est ce que vérifie Mélanie Plourde. Son objectif ambitieux : formuler des recommandations nutritionnelles claires pour les aînés.
Dans le domaine de la nutrition, les études sont rarement bonnes; trop souvent mauvaises. Ce n’est pas l’auteur de ces lignes qui le dit, mais bien Mélanie Plourde, titulaire de la Chaire du Centre de recherche médicale de l’Université de Sherbrooke (CRMUS) sur le métabolisme des lipides lors du vieillissement. « Plusieurs chercheurs publient des articles de basse qualité qui sont méthodologiquement biaisés » avec pour résultat une avalanche de données contradictoires dont on ne peut rien tirer, souligne celle qui a obtenu l’International Life Sciences Institute (ILSI) North America Future Award 2017, un prix remis à une jeune chercheuse prometteuse du domaine de la nutrition et des sciences de l’alimentation.
Les recherches sur les oméga-3 n’échappent pas à cette tendance. Ces acides gras, qui ne peuvent pas être fabriqués par l’organisme, et que l’on trouve par exemple dans le poisson gras, ont été parés de toutes les vertus. Ils semblent avoir un effet protecteur contre les affections cardiaques et contre la maladie d’Alzheimer. Mais les études épidémiologiques menées sur le sujet sont difficiles à interpréter. Si certaines démontrent que manger quotidiennement deux portions de poisson gras diminue le risque de déclin cognitif jusqu’à 60 %, d’autres n’observent aucun effet. Du tout au rien !
Prédisposition génétique
Pourquoi ? Selon Mélanie Plourde, ces études ne tiennent pas compte d’un variant génétique particulier qui prédispose au déclin cognitif et qui est présent chez 15 % à 20 % des Canadiens : la forme epsilon4 de l’apolipoprotéine E, ou ApoE4. « Chez les personnes qui ont ce variant génétique, le métabolisme des oméga-3 est dérégulé dans l’ensemble des organes, dont le cerveau. Lors de mon stage postdoctoral, vers la fin des années 2000, nous avons prouvé que cela contribue au développement de démences », explique la chercheuse.
Chez cette population, qui représente environ 3,5 millions de Canadiens âgés de 18 à 65 ans, les acides gras oméga-3 ne sont pas emmagasinés dans les cellules comme ils le devraient (ils sont normalement impliqués dans la transmission d’informations entre les neurones et dans l’expression de certains gènes). À la place, ils sont utilisés comme source énergétique. Cela les rend-il moins efficaces pour prévenir les maladies ? Faudrait-il prescrire à ces personnes des doses plus fortes d’oméga-3 pour obtenir le même effet ?
Afin d’en avoir le cœur net, Mélanie Plourde a mis sur pied une étude auprès de 200 personnes âgées de 20 à 80 ans. Le but : écarter de l’équation la variable confondante que représente ApoE4 en la contrôlant, et mieux comprendre les différences de métabolisme d’une personne à l’autre (concentration dans le sang des oméga-3, impact sur la neuro-inflammation, etc.).
« Certaines études ont démontré que les oméga-3 contribuent à réduire l’inflammation du système nerveux et à améliorer l’intégrité de la “barrière” qui protège le cerveau des agresseurs, ce qui contribue à freiner l’apparition de la démence. Nous pensons donc que la diète a un rôle à jouer », affirme celle qui est aussi membre de l’Institut des nutraceutiques et des aliments fonctionnels.
Elle en profitera pour vérifier l’influence de l’âge sur les bénéfices qu’on retire d’une consommation élevée d’oméga-3 (3 g par jour).
La collecte de données s’est conclue en février dernier après un suivi de six mois. À terme, la chercheuse espère émettre des recommandations nutritionnelles claires adaptées aux aînés.
« Par exemple, nous aimerions pouvoir affirmer qu’une supplémentation de X grammes d’oméga-3 par jour diminue le risque de développer la maladie d’Alzheimer de Y pour cent, allongeant ainsi la qualité de vie de Z années », illustre-t-elle. En 2010, une étude de la Société Alzheimer du Canada établissait que le fait de retarder l’apparition de ce trouble cognitif permettait d’allonger de quelques années la période d’autonomie des patients.
Patrons alimentaires
Pour aller au bout de sa démarche, Mélanie Plourde pourra notamment compter sur la bourse de 40 000 $ qui accompagne l’ILSI North America Future Award.
Son projet, retenu parmi la quarantaine de candidatures internationales reçues par l’ILSI, permettra aussi d’évaluer l’impact de différents « patrons alimentaires » sur la cognition. « Est-ce que la diète nord-américaine précipite le développement de démences ? Manger des fruits, des légumes et du poisson le prévient-il ? Nous allons pouvoir le déterminer à partir de questionnaires distribués lors de notre étude », dit-elle.
Le parcours sans faute de Mélanie Plourde n’étonne pas Marie-Claude Vohl, titulaire de la Chaire sur la génomique appliquée à la nutrition et à la santé de l’Université Laval, qui a encadré la jeune chercheuse pendant son stage postdoctoral. « Mélanie a la chance de pouvoir coupler une expertise fondamentale avec une solide expérience clinique. Être en mesure de couvrir un tel spectre est une véritable force chez un chercheur », fait-elle valoir.
Une qualité qui pourrait bien modifier le cours de plusieurs vies. Car, si rien ne change, 937 000 Canadiens souffriront d’Alzheimer dans 15 ans, prévoit la Société Alzheimer du Canada.
Les questions de Rémi Quirion scientifique en chef du Québec
R.Q. : Vous affirmez que, en nutrition, il serait difficile de trouver des études rigoureuses. Comment expliquez-vous cela ? Et comment peut-on le changer ?
M.P. : En fait, il y a plusieurs études rigoureuses en nutrition. Cependant, la nutrition n’est qu’une des nombreuses composantes de nos habitudes de vie qui, elles-mêmes, varient d’un pays à l’autre. Cela complique la reproductibilité dans la façon de mener ces recherches. Les solutions ? Faire en sorte que les études nutritionnelles adoptent un processus standardisé. Je codirige un groupe de recherche international sur ce sujet et nous espérons que nos futures recommandations seront mises en pratique partout dans le monde.
R.Q. : Qu’est-ce qui vous a menée à la recherche en nutrition ?
M.P. : Je veux contribuer à faire évoluer la science de la nutrition différemment. Nous sous-estimons grandement le pouvoir de la nutrition dans la prévention; et la recherche se préoccupe trop de l’aspect curatif. Si on injectait plus d’argent pour établir et mettre en place de véritables stratégies de prévention, on créerait un changement de paradigme dans notre société. Malheureusement, les Instituts de recherche en santé du Canada ne semblent pas adopter cette tendance, car ils octroient très peu de subventions aux chercheurs en nutrition; et je ne fais plus partie du lot.
R.Q. : Quelle sera la prochaine étape de votre carrière scientifique ?
M.P. : La prochaine étape se déroulera en trois temps. Je dois trouver du financement pour soutenir le développement de mon laboratoire. Puis, il me faut établir un lien clair entre la consommation des oméga-3 et la santé du cerveau lors du vieillissement. Enfin, je dois rédiger des recommandations nutritionnelles, fondées sur des profils alimentaires et des suppléments, qui pourraient mieux soutenir le cerveau pendant le vieillissement.
Cette entrevue est parue dans Québec Science, un magazine scientifique pour le grand public.