Les travaux de Jean-Frédéric Morin ouvrent la voie à une meilleure intégration des préoccupations environnementales dans les accords commerciaux.

Les accords commerciaux ont des effets complexes mais bien réels sur l’environnement. Par exemple, la hausse de la production et du transport de biens de consommation génère en retour des émissions de gaz à effet de serre, qui contribuent au dérèglement climatique. En contrepartie, cette circulation de matériaux et de produits est nécessaire pour développer les technologies « vertes », comme les panneaux solaires photovoltaïques. Ces derniers sont par ailleurs moins chers à l’unité grâce à des économies d’échelle, elles aussi attribuables à l’intensification du commerce international.
« Dans un monde idéal, les accords commerciaux accentueraient les bénéfices pour l’environnement plutôt que les préjudices. Cela exige cependant de s’attarder au contenu spécifique de ces traités, qui ne s’équivalent pas », affirme Jean-Frédéric Morin, professeur au Département de science politique de l’Université Laval. L’automne dernier, ce spécialiste des institutions économiques internationales a été nommé membre du Collège des nouveaux chercheurs de la Société royale du Canada, qui regroupe notamment des scientifiques arrivés à un stade très productif de leur carrière.

SYSTÈMES COMPLEXES
L’originalité des travaux de Jean-Frédéric Morin est d’aller au-delà des quelques accords commerciaux que tous et toutes connaissent, comme l’Accord Canada–États-Unis–Mexique et l’Accord économique et commercial global, qui lie le Canada et l’Union européenne. Le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie politique internationale est justement à l’origine de plusieurs bases de données originales qui traduisent ce souci d’exhaustivité. L’une d’elles recense ainsi toutes les clauses environnementales de 730 accords commerciaux! « Aussi important soit-il, un accord ne constitue qu’un seul arbre dans la forêt. En négligeant le portrait d’ensemble, on passe à côté d’innovations dignes d’intérêt d’un point de vue réglementaire et normatif », explique le chercheur. Cette approche systémique est en rupture avec les théories plus classiques, qui postulent que les traités sont indépendants les uns des autres. Selon lui, ils forment plutôt un vaste réseau complexe dans lequel les interactions, nombreuses, sont parfois porteuses de bonnes idées, qui méritent d’être diffusées.
« D’un point de vue scientifique, analyser plusieurs cas fait ressortir de la variabilité », indique Jean- Frédéric Morin. Au bout du compte, ce sont les négociateurs commerciaux qui en tirent parti. « Ils ont une meilleure idée des conditions gagnantes pour que, par exemple, les accords commerciaux ne freinent pas la régulation environnementale », souligne-t-il. Preuve de son influence, le chercheur a été invité à partager ses résultats de recherche avec des représentants d’institutions telles que l’Organisation mondiale du commerce et l’Organisation de coopération et de développement économiques.

DÉBRIS SPATIAUX
Même si Jean-Frédéric Morin s’intéresse aussi aux effets des institutions économiques internationales sur la santé publique et la diversité culturelle, l’environnement occupe une place particulière dans sa programmation de recherche. Et on parle d’environnement au sens large ! Ces temps-ci, il porte son regard sur la pollution de l’espace et les accords gouvernant l’industrie spatiale, une thématique peu explorée, qu’il a nommée
« l’astroenvironnementalisme ». « Il se passe la même chose en ce moment en orbite terrestre que sur Terre depuis la révolution industrielle. On y trouve de plus en plus de débris d’origine humaine qui ont le potentiel d’endommager les satellites, lesquels constituent également une forme de pollution », déplore-t-il. Selon l’Agence spatiale européenne, il y aurait environ 34 000 de ces débris de 10 cm et plus au- dessus de nos têtes. Dans un monde où les économies sont plus que jamais intégrées, la pertinence des contributions scientifiques de Jean-Frédéric Morin est indiscutable. « Nous ne sommes pas à la veille d’un mouvement de démondialisation, d’où la nécessité d’améliorer l’efficacité des différents traités au regard de l’environnement », fait valoir Noémie Laurens, qui a été supervisée par le chercheur lors de son doctorat en science politique, terminé l’été dernier.
« De toutes ses qualités, c’est sa réactivité qui m’a le plus impressionnée, souligne celle qui est aujourd’hui chercheuse postdoctorale en relations internationales à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève. Son temps de réponse à un courriel n’excède jamais deux heures ! » Québec Science a pu en faire l’expérience lors de la production de cet article. Verdict : c’est bien vrai.

Les questions de Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec

R.Q : Dans la foulée de la COP15 tenue à Montréal en décembre 2022 et de la signature de l’accord Kunming-Montréal, croyez-vous que l’on tiendra davantage compte de l’environnement et de la biodiversité dans les futurs accords commerciaux?

L’accord de Kunming-Montréal représente une avancée importante. Les États se sont notamment engagés à protéger 30 % de leur territoire d’ici 2030. Cette formule « 30 % d’ici 2030 » marque les esprits et facilite la mobilisation de la société civile. Les ONG peuvent facilement vérifier si les gouvernements sont en voie de respecter leurs engagements et dénoncer les manquements. Pour l’instant, ce sont principalement ces forces politiques qui incitent les gouvernements à prendre les mesures qui s’imposent.
Les accords commerciaux peuvent créer des incitatifs supplémentaires. Ces accords sont dotés de mécanismes de contrainte qui ont beaucoup plus de mordant que ceux que l’on trouve dans les accords environnementaux, comme la Convention sur la diversité biologique. Si un État ne respecte pas un accord commercial, il peut se voir imposer des sanctions. Dès lors, en réitérant les engagements pris à la COP15 dans un accord commercial, les gouvernements seraient doublement incités à respecter leurs engagements : non seulement pour répondre à la pression de la société civile, mais aussi pour éviter des sanctions commerciales. Mes recherches indiquent que c’est une stratégie efficace.

R.Q. : Portez-vous vos travaux à l’attention des décideurs politiques ? La recension et l’analyse des clauses environnementales auraient-elles un intérêt pour eux, selon vous ?

Absolument! Les négociateurs commerciaux sont intéressés par mes résultats. Ils naviguent parfois à l’aveugle et doivent improviser des solutions. Ils sont avides de données probantes. Par exemple, je peux leur indiquer quelles sont les clauses environnementales qui favorisent le plus le commerce des produits verts et celles qui réduisent le commerce de produits polluants.
J’ai déployé plusieurs stratégies pour communiquer avec les négociateurs. Ils n’ont pas le temps de lire mes publications scientifiques, alors j’ai publié une série de courtes synthèses à leur intention. J’ai parfois l’occasion de leur résumer mes conclusions en personne en allant sur leur lieu de travail, que ce soit à Ottawa, à Washington, à Bruxelles ou ailleurs. J’ai aussi développé une carte interactive (www.TRENDanalytics.info), qui permet aux négociateurs d’explorer ma base de données pour trouver de nouvelles idées. J’ai reçu des échos positifs, notamment des dirigeants de l’Organisation mondiale du commerce et du Programme des Nations unies pour l’environnement.

Cette entrevue est parue dans Québec Science, un magazine scientifique pour le grand public.