Marc-Kevin Daoust
Professeur enseignant en éthique, École de technologie supérieure
Co-auteur :
Victor Babin
Étudiant au doctorat en philosophie, Université du Québec à Montréal
Publication primée : Deux enjeux philosophiques entourant la structure des recommandations issues du secteur public
Publiée dans : Dialogue, Canadian Philosophical Review / Revue canadienne de philosophie
Résumé :
Les ministères, commissions et autres institutions publiques des démocraties libérales ont différentes fonctions. L’une d’entre elles est de conseiller les décideurs, ou plus précisément, de formuler des recommandations à l’attention des décideurs. Or, les institutions publiques savent que leurs recommandations vont souvent être ignorées en partie par le décideur. C’est ce qu’on appelle des situations de « conformité partielle ».
Voici un exemple célèbre illustrant de telles situations. Au Québec, nous avons tous entendu parler de la tragédie entourant le décès de Joyce Echaquan. Le Bureau du coroner a mené une enquête sur ce drame. La coroner Géhane Kamel a proposé ses recommandations pour éviter que de tels incidents se reproduisent. La première recommandation de la coroner Kamel a été très médiatisée. Elle propose au gouvernement du Québec de reconnaitre l’existence du racisme systémique et de s’engager à l’éliminer. Or, il est de notoriété publique que le gouvernement n’a pas l’intention de reconnaître ce phénomène. Pourquoi faire une recommandation au gouvernement si l’on sait qu’il n’a pas l’intention de s’y conformer?
Les cas de conformité partielle soulèvent plusieurs problèmes difficiles à résoudre pour les conseillers appelés à formuler des recommandations. Par exemple, les conseillers du secteur public devraient-il être réceptif au fait que les décideurs entérinent rarement toutes les recommandations qu’ils reçoivent? Si oui, quel visage devrait prendre cette réceptivité? Les conseillers devraient-ils adapter leurs recommandations, afin de limiter le risque de se retrouver dans une situation de conformité partielle? Est-ce que le fait d’ignorer une recommandation affecte les autres recommandations, et si oui, comment? Ces problèmes ont été peu étudiés. Pourtant, ils sont d’une grande importance, et compliquent la formulation de bonnes recommandations.
Dans cet article, nous identifions deux enjeux entourant la structure des recommandations issues du secteur public. Notre analyse repose sur une étude de 570 recommandations tirées de 40 documents et rapports du secteur public québécois. Le premier enjeu concerne l’inséparabilité de certaines recommandations. Les conseillers produisent des listes de recommandations distinctes les unes des autres. Les interactions entre ces recommandations sont rarement soulignées. Or, ces interactions sont cruciales. Elles peuvent grandement affecter la qualité des décisions prises par le décideur, surtout en situation de conformité partielle. Le second enjeu concerne la « stabilité » du travail des conseillers. Essentiellement, le problème va comme suit : Tant que les conseillers estiment que leurs recommandations ont de bonnes chances d’être ignorées, et que leurs recommandations sont inséparables, ils auront de la difficulté à déterminer quelles recommandations doivent être faites au décideur. En conclusion, nous identifions des pistes de recherche futures pour dénouer ces problèmes.