Chercheur : 
Paradis-Gagné, Etienne

Établissement : 
Université de Montréal

Année de concours : 
2021-2022

Au Québec, les personnes atteintes de troubles mentaux (PATM) qui sont hospitalisées en psychiatrie légale sont sous l’effet d’une coercition qui s’opérationnalise sous mandat judiciaire, que ce soit en contexte de droit criminel ou civil. Cette coercition peut être de plusieurs ordres : application de mesures de contrôle telles l’isolement, la contention et le recours à la médication contre le gré, hospitalisation involontaire, contrôle presque complet de la vie de la personne dans un milieu sécurisé (architecture sécuritaire, présence d’agents de sécurité, surveillance constante et fouilles des effets personnels, imposition de limites et restrictions, etc.). L’application de cette coercition peut engendrer des tensions éthiques et morales chez les soignants qui pratiquent auprès des PATM, et qui se retrouvent en situation de double rôle : soigner et contrôler/discipliner. Du côté des PATM, la coercition serait vécue comme étant invalidante et déshumanisante. Les interactions sociales entre soignants et soignés en milieu de psychiatrie légale sont donc complexes, et comportent des enjeux de pouvoir et de contrôle social.

Cette recherche vise à théoriser comment la coercition en psychiatrie légale module et reconfigure les interactions sociales entre soignants et soignés. Les objectifs spécifiques sont : 1) décrire l’expérience du personnel soignant et des PATM qui vivent l’application de mesures de coercition dans le cadre des soins de psychiatrie légale et 2) analyser les interactions sociales entre ces acteurs à l’intérieur d’un milieu institutionnel fermé.

Les travaux du sociologue Ervin Goffman et de Michel Foucault sont les leviers théoriques de cette recherche. Les idées de Goffman sur la carrière morale du malade mental et sur le concept de l’institution totale sont mobilisées, ainsi que les travaux de Foucault sur le pouvoir coercitif et sur l’application de mécanismes disciplinaires en contexte psychiatrique. La méthodologie qualitative de théorisation ancrée selon Corbin et Strauss (2014) sera utilisée. Des entretiens semi-structurés seront réalisés par le chercheur principal et l’étudiant de 2e cycle. Les participants seront recrutés à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel suivant une méthode d’échantillonnage de convenance auprès de personnes atteintes de troubles mentaux ayant déjà fait l’expérience de coercition et des membres du personnel soignant (infirmiers, travailleurs sociaux, psychiatres, psychoéducateurs, criminologues, etc.) qui ont une expérience clinique auprès de patients faisant l’objet de mesures de coercition. Un échantillon hétérogène d’environ 20 participants (hommes et femmes) est escompté pour ce projet. L’analyse sera réalisée simultanément à la collecte de données, en fonction des étapes de la théorisation ancrée : codification ouverte, codification axiale, catégorisation, intégration théorique, modélisation et théorisation (ou conceptualisation) du phénomène à l’étude. Les retombées de ce projet serviront à mieux informer les professionnels et les décideurs sur le phénomène de la coercition en contexte médico-légal. Il s’agira, notamment, de mettre en lumière les mécanismes coercitifs qui perdurent dans ces milieux cliniques, et qui engendrent des iniquités pour une population en situation de grande vulnérabilité.