Responsable : 
Sophie Abdela

Établissement : 
Université de Sherbrooke

Année de concours : 
2022-2023

« En face ce ne sont pas des enfants de chœur, il y a des tueurs », rappelle un Marseillais, voisin inquiet de la prison des Baumettes (2018). Mêmes échos à Paris, près de la prison de la Santé, ou à Montréal, aux environs de la prison Tanguay. Autour des rares prisons urbaines se construit aujourd’hui un écosystème de peur, de méfiance et de mépris.

Pourtant, l’histoire nous prouve qu’il n’en a pas toujours été ainsi : dans l’Europe des Lumières, toutes les grandes capitales étaient parsemées de geôles. À lui seul, le Paris du XVIIIe siècle comptait plus d’une douzaine de prisons. La plus grande prison de la capitale, le Grand Châtelet, laboratoire du présent projet, était située en plein centre de la ville. Entre cette geôle urbaine et les citadins se mettait en place un écosystème fort différent de celui qui prévaut aujourd’hui.

L’historiographie a négligé l’environnement local de la prison, tangible, dynamique. Le présent projet vise justement à comprendre les liens qui se tissaient entre les Parisiens du Siècle des Lumières et leurs prisons. Comment ces relations se construisaient-elles? Avec quelles conséquences pour la ville? Pour la geôle? Comment cette proximité nous permet-elle de mieux comprendre les échecs et les réussites de la prison d’Ancien Régime et d’en percevoir l’écho dans nos pénitenciers contemporains? L’hypothèse de départ est que la cohabitation ville-prison entraînait à l’époque des interactions à la fois nombreuses et essentielles tant aux détenus qu’aux Parisiens du voisinage.

Le projet a pour finalité de mettre au jour l’écosystème carcéral généré par la présence du Grand Châtelet dans un quartier central de Paris entre 1750 et 1789, époque par excellence du réaménagement urbain. Nous entendons ici par « écosystème » les dynamiques urbaines particulières qui se nouent autour et à travers une prison et qui participent à la mise en place d’un environnement spécifique. Cette finalité s’accompagne de trois objectifs : 1. reconstituer les caractéristiques topographiques de cet écosystème; 2. en identifier les acteurs; 3. déterminer les interactions qui s’établissent entre la prison et son environnement urbain.

La présente recherche renouvelle l’histoire carcérale en s’inscrivant dans le courant du tournant spatial. Elle s’appuie sur la théorie unitaire de l’espace mise au point par H. Lefebvre qui vise à décoder le monde physique sous le triptyque de l’espace perçu, conçu et vécu. Sous cette approche, le Grand Châtelet devient un acteur urbain. Autour de lui se perçoit, se conçoit et se vit un écosystème spécifique. Cet espace particulier fera l’objet d’analyses menant à la constitution d’une base de données et d’un système d’information géographique (SIG).

Le projet aboutira à la mise sur pied d’une architecture numérique unique et librement accessible permettant d’observer dans l’espace et dans le temps la nature et les dynamiques d’un écosystème carcéral urbain. En plus de la contribution à la connaissance, la retombée du projet consiste à proposer un modèle d’étude de la prison qui fait éclater les frontières disciplinaires (sociologie, géographie et histoire). Ainsi déployée, la geôle prend un nouveau visage.