Chercheur : 
Lauro, Raphaël

Établissement : 
Université de Montréal

Année de concours : 
2021-2022

À l’heure où les enjeux de société réactivent les réflexions relatives au colonialisme, au postcolonialisme ou au courant décolonial, ce projet consacré aux « présences d’Édouard Glissant au Québec et en d’autres lieux du Canada» entend contribuer à l’écriture d’une histoire littéraire, culturelle et intellectuelle transversale reliant les Amériques.

Figure majeure de la littérature francophone et de la pensée postcoloniale, l’écrivain martiniquais (1928-2011) a en effet proposé d’aborder notre « chaos-monde » dans la perspective d’une « poétique de la Relation », laquelle s’est déployée a? partir du réel antillais, mais également au contact de l’archipel des Amériques, et notamment du Québec. Depuis sa rencontre décisive avec Gaston Miron en 1959, lequel le présentait comme « le plus québécois des Antillais » (Royer), jusqu’a? la publication en 2010 de ses entretiens avec Lise Gauvin sur «L’imaginaire des langues», Glissant a opéré un véritable détour canadien. Source de rencontres, de séjours a? Montréal et Toronto, d’un important voyage au Nunavut et de nombreuses interventions publiques, ce détour a engendré plusieurs publications majeures : «Fastes» (GREF, 1989), «Discours de Glendon» (GREF, 1990), «Introduction a? une poétique du Divers» (PUM, 1995), sans oublier sa préface à «L’Homme rapaillé» (Gallimard, 1999).

Or, si la critique a rappelé l’importance de son expérience de vie aux États-Unis, aucune étude substantielle n’a examiné l’effet de sa relation avec les poètes, les artistes ou les intellectuels québécois et canadiens dans l’élaboration de sa pensée du « Tout-monde ». Réciproquement, alors que l’apport des littératures caribéennes et des théories postcoloniales suscite un intérêt croissant au Canada, l’incidence de la pensée d’Édouard Glissant y constitue un champ d’étude largement inexploré.

Pourtant, trois moments témoignent d’une circulation intellectuelle entre les espaces. De 1960 a? 1980, soit a? partir de la « Révolution tranquille », Glissant intervient à plusieurs reprises au Québec pour témoigner de la situation coloniale des Antilles et des problématiques afférentes (aliénation, domination, émergence des littératures nationales). Entre 1980 et 2000, c’est davantage pour présenter sa philosophie relationnelle, attentive aux intrications des cultures, des langues et des imaginaires autant qu’aux effets imprévisibles de leurs rencontres, que le théoricien de la « créolisation » effectue des séjours au Canada. Enfin, depuis les années 2000 jusqu’à l’inauguration d’une aile des « Arts du Tout-monde » au Musée des Beaux-Arts de Montréal (2019), de nombreuses convocations de sa pensée se font entendre dans les débats relatifs a? l’identité, au transculturalisme et au dialogue interculturel.

Ce projet entend donc retracer ces « présences » étendues sur plus d’un demi-siècle afin de cerner les enjeux culturels qui rapprochent les espaces caribéens et canadiens. En conjuguant une approche critique a? une recherche archivistique, il s’agira d’éclairer l’incidence de ce détour sur l’?uvre et la réception de Glissant, mais aussi d’interroger les échos poétiques, artistiques et politiques, y compris très contemporains, de ces « présences » dans l’espace littéraire et culturel franco-canadien. Se dessinera ainsi, à la lumière de revues, de journaux, de fonds d’archives et de témoignages, une histoire culturelle partagée qui reste à écrire.