Chercheur : 
Michaël Trahan

Établissement : 
Université Laval

Année de concours : 
2022-2023

Ce projet de recherche-création porte sur les effets collatéraux du discours autobiographique. Dans une perspective poïétique, philosophique et sociologique, qui accorde une place importante à la genèse des œuvres littéraires et aux enjeux éthiques du travail créateur, il cherche à comprendre ce qui a lieu lorsqu’une personne se voit transformée en « être de papier », pour reprendre la formule de Paul Valéry. Afin de voir de l’intérieur comment ces questions travaillent l’expérience de la création, je m’intéresserai en premier lieu au discours d’écrivain·e·s dont les œuvres permettent d’interroger la mise en scène littéraire d’autrui. C’est le cas, par exemple, de Christine Angot et d’Emmanuel Carrère, que j’étudierai plus particulièrement. Dans la foulée des travaux de Judith Butler (2007 [2005]) sur le récit de soi et la responsabilité narrative du sujet qui raconte sa vie, ainsi que des hypothèses de Nathalie Heinich (2005) et de Jacques Soulillou (1995) sur les limites de la fiction et l’impunité de l’art, je souhaite contribuer aux études sur l’acte de création en essayant de comprendre un impact réel mais souvent occulté du geste autobiographique.

Si de nombreuses approches, qui se situent à la croisée des études littéraires et du droit, permettent de baliser les paramètres légaux à l’intérieur desquels une œuvre littéraire mettant en jeu autrui est considérée comme inacceptable, ou encore de montrer que les préoccupations judiciaires modulent l’expérience de la création, ma perspective, qui s’intéresse davantage à autrui qu’au cadre de la loi, s’inscrit plus résolument dans le sillon des éthiques du care (Gilligan, 2019 [1982]; Tronto, 2009 [1993]). À partir d’une réflexion sur la singularité des écritures autobiographiques contemporaines, mon projet veut poser d’une façon engagée et pratique la question morale de l’attention à l’autre dans la création littéraire. Quelles sont les responsabilités de l’écrivain·e envers les personnes concernées par son écriture? Qu’est-ce qui, dans le dispositif d’une œuvre, peut moduler les effets qu’elle a sur les autres? Comment envisager ces questions dans la formation universitaire en création littéraire? Une telle perspective, qui s’intéresse à ce qui est vécu dans les marges des œuvres, sera au cœur des activités de recherche-création que je réaliserai.

En somme, les objectifs de ce projet sont : 1) poser les bases d’une réflexion sur les effets collatéraux du geste autobiographique à partir d’œuvres marquantes des deux dernières décennies; et 2) contribuer à la recherche-création en littérature en essayant de mieux définir le rôle du souci d’autrui dans les écritures contemporaines. Pour atteindre ces objectifs, j’ouvrirai un chantier de recherche et de création sur les usages littéraires de l’existence et j’écrirai une œuvre de non-fiction intitulée L’idée de famille, qui engagera mes proches, et qui mettra donc les questions soulevées dans le projet à l’épreuve de la pratique.