Julie Hlavacek-Larrondo combine astrophysique et intelligence artificielle pour mettre en lumière le rôle crucial des trous noirs les plus massifs dans l’évolution des galaxies.
Les trous noirs supermassifs sont de bien curieux objets célestes. Comme leur nom l’indique, leur masse est de l’ordre d’un million de fois celle du Soleil. Or, ils sont aussi très, très compressés, ce qui rend leur champ gravitationnel extrêmement puissant, au point que rien ne peut s’en échapper, pas même la lumière. Résultat : les trous noirs les plus massifs sont d’une taille minuscule en comparaison des galaxies au centre desquelles ils se trouvent, comme la Voie lactée, mais sur lesquelles ils exercent pourtant une influence énorme. Mais alors, pourquoi ont-ils le superpouvoir de remodeler ces grandes structures de milliards d’étoiles ? Imaginez : c’est comme si un objet de la taille d’une tasse de café pouvait façonner le visage de la Terre !
La professeure au Département de physique de l’Université de Montréal Julie Hlavacek-Larrondo cherche à répondre à cette question depuis plus de 15 ans. Ses travaux démontrent notamment que les trous noirs supermassifs agissent comme le coeur battant des galaxies. « Ils assurent la circulation de gaz et de matière, des nutriments qui gardent les galaxies chaudes, ce qui a pour effet d’y réguler la formation d’étoiles », résume celle qui a reçu le premier prix Étoile montante du Fonds de recherche du Québec – secteur Nature et technologies, en mai dernier. La chercheuse s’est aussi vu décerner la médaille Herzberg de l’Association canadienne des physiciens et physiciennes plus tôt cette année.
L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE À LA RESCOUSSE
La titulaire de la Chaire de recherche du Canada en astrophysique observationnelle des trous noirs se spécialise dans l’étude des plus importants trous noirs supermassifs du cosmos. On retrouve ces derniers au centre des plus grosses et vieilles galaxies de l’Univers, qui ont aussi la particularité d’être elles-mêmes au centre d’amas de milliers de plus petites galaxies. « Ces amas agissent comme des puits de gravité où tombent des gaz, qui sont alors chauffés à 10 millions de degrés Celsius. Ce phénomène [indicateur de la présence de trous noirs supermassifs] émet des rayons X que des télescopes spatiaux comme Chandra peuvent détecter », explique Julie Hlavacek-Larrondo.
Décoder cette signature énergétique demande cependant des moyens considérables. Chaque image captée dans le ciel compte en effet des millions de pixels. En traiter une seule pour en extraire toute l’information pertinente demande donc des semaines. Une cadence impossible à suivre lorsque des clichés sont réalisés chaque jour… L’avènement de l’intelligence artificielle change heureusement la donne. « Les outils d’apprentissage automatique nous fournissent désormais des réponses en quelques minutes à peine, indique l’astrophysicienne. Quand on y pense, l’astronomie est l’un des domaines où on retrouve depuis toujours des mégadonnées. »
L’intelligence artificielle permet en outre de contourner les limites inhérentes aux instruments de mesure. « Par une opération mathématique d’une complexité inouïe, les algorithmes sont capables de convertir en “vraie” lumière les données reçues qui ont été préalablement modifiées par les télescopes », affirme-t-elle. Ces avancées ouvrent des avenues de recherche jusque-là insoupçonnées. « Mon équipe a accès aux premières données du télescope spatial à rayons X XRISM, lancé en 2023. Nous pensons, grâce à ces nouvelles techniques, augmenter la netteté des images captées et ainsi voir des structures qui seraient autrement passées inaperçues sous nos yeux. »
L’IDENTITÉ SCIENTIFIQUE
Julie Hlavacek-Larrondo est une sommité mondiale, comme en témoignent ses nombreux prix et bourses reçus au fil des ans, ses publications dans des revues prestigieuses, son temps de travail sur les plus grands télescopes au monde, etc. Malgré tout, dans un domaine où les hommes sont surreprésentés, son profil se démarque. « Être une femme en sciences pures ne m’a jamais vraiment dérangée, jusqu’au jour où je me suis rendu compte que des dossiers de candidature pourtant identiques sont évalués très différemment selon le sexe de leur auteur », raconte celle qui s’est alors engagée à renverser ce statu quo.
Cela l’a menée à cofonder Parité sciences, qui a pour objectif de modifier les représentations stéréotypées de la science auprès des étudiantes et de susciter ainsi des vocations scientifiques chez ces dernières en comptant sur le personnel enseignant. « Grâce à cette initiative audacieuse, nous avons formé plus de 1000 membres de la communauté enseignante du collégial au Québec depuis 2020 », se réjouit Jean-François Arguin, cofondateur de Parité sciences et lui aussi professeur au Département de physique de l’Université de Montréal. « Julie a épousé la cause de l’équité, de la diversité et de l’inclusion bien avant que cela ne soit à la mode. On peut dire qu’elle est une véritable visionnaire. »
Les questions de Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec
On s’interroge souvent sur l’intérêt d’étudier les galaxies, les trous noirs et autres objets célestes. Pourquoi, selon vous ?
C’est parce qu’ils semblent éloignés de nos préoccupations quotidiennes. Pourtant, l’exploration de l’Univers touche à des questions fondamentales sur nos origines, notre place dans le cosmos et notre avenir. Cette recherche stimule l’innovation technologique, avec des avancées concrètes comme le télescope spatial James Webb ou même des dispositifs d’imagerie médicale. L’astrophysique possède aussi une valeur culturelle profonde. Des images comme la Blue Marble marquent des générations et élargissent notre vision des défis planétaires, comme les changements climatiques, en nous offrant de nouvelles perspectives et solutions. En fin de compte, l’astrophysique nous unit dans une quête de savoir, tout en préparant l’humanité à un avenir incertain, mais prometteur.
Quels conseils donneriez-vous aux astronomes en herbe fascinés par les trous noirs ?
La théorie est fascinante, mais l’observation est une expérience inégalée. Mon coup de coeur a été le trou noir de la galaxie 3C321, où un jet détruisait la galaxie voisine, révélant la puissance incroyable de ces objets. Depuis, comprendre leur rôle dans l’Univers est devenu ma passion. Aux astronomes en herbe, saisissez toutes les occasions d’apprendre : livres, magazines, communiqués de presse, conférences, projets comme les Expo-sciences. Chacune est une porte ouverte vers de nouvelles découvertes !
Quels mots d’encouragement aimeriez-vous dire aux jeunes filles qui rêvent de faire carrière en sciences pures ?
Croyez en vous et en votre curiosité ! Il est normal de douter parfois ou d’être timide. Mais sachez que la confiance en soi se construit avec le temps. Jamais je n’aurais imaginé, au secondaire ou même au cégep, faire un jour un doctorat et devenir une des meilleures astrophysiciennes au monde. J’ai découvert la physique presque par hasard lors d’un projet d’Expo-sciences sur la téléportation. Je croyais alors que c’était de la science-fiction, ignorant que cela relevait en fait de la physique ! Ça a été une révélation qui m’a ouvert les portes de ce monde fascinant. Les sciences pures sont un champ infini où vos idées, votre passion et votre persévérance peuvent faire progresser notre compréhension du monde. Vous y avez toutes une place ! Et plus nous serons nombreuses, plus nous pourrons transformer notre vision du monde. Vous n’êtes pas seules : des communautés de femmes scientifiques pourront vous soutenir. Suivez votre passion, l’Univers attend vos contributions !
Cette entrevue est parue dans Québec Science, un magazine scientifique pour le grand public.