En 2016, les autoportraits de femmes continuaient de se multiplier sur des plateformes comme Facebook et Instagram, mais restaient peu étudiés par les sociologues. Les propos sur ces images dans les médias étaient généralement négatifs, placés sous l’angle de l’hypersexualisation des jeunes et du narcissisme.

Chiara Piazzesi, chercheuse en sociologie à l’Université du Québec à Montréal, a voulu comprendre les réelles motivations des femmes qui se mettaient en scène sur les réseaux sociaux. Entre 2017 et 2019, elle a mené des entrevues avec onze femmes de 22 à 52 ans adeptes de cette pratique, et elle a analysé leurs profils Facebook et Instagram. Elle leur a aussi demandé de prendre sept autoportraits, dont cinq devaient être reliés à des situations précises telles une présentation devant public pour le travail ou les études, ou encore, une sortie entre amies.

La démarche a permis de comprendre que la plupart des femmes perçoivent ces publications comme une manière d’échanger avec les autres et comme l’élaboration d’un « journal » qu’elles peuvent consulter pour se remémorer des passages de leur vie. La mémoire de ces événements est très liée pour elles à leur propre apparence dans les photos, qui représente les états d’âme liés à la situation rappelée.

La beauté constitue alors un élément incontournable de l’exercice, puisque ces femmes ressentent la pression de correspondre à un idéal de belle apparence. Les autoportraits constituent ainsi des formes de négociations avec les normes de beauté dominantes, soit en y résistant, soit en y cédant (par exemple, en modifiant les photos) – et le plus souvent en faisant un peu les deux. Les normes sont donc à la fois une limite à l’expression de l’identité des femmes et une occasion d’affirmer celle-ci et de la renforcer.

Cette recherche a mené à la publication de l’ouvrage The Beauty Paradox: Feminity in the Age of Selfies, qui a fait l’objet d’une recension très positive dans la revue Gender & Society.

Pour aller plus loin :

Piazzesi, Chiara et Catherine Lavoie Mongrain. « Selfies de femmes, négociation normative et production de culture visuelle sur Instagram et Facebook. » Recherches féministes, volume 33, numéro 1, 2020, p. 135–151. https://doi.org/10.7202/1071246ar