Dans la région du Bas-Saint-Laurent, le pin gris réussit à persister dans des conditions fort différentes de celles qui ont cours dans la forêt boréale, où il prospère le mieux. Alors que les cycles réguliers de feux de forêt, plus fréquents dans le Nord, permettent habituellement à ses cocottes saturées de résine de s’ouvrir pour laisser tomber leurs graines, à la marge sud de sa répartition, l’arbre s’est adapté à des incendies rares et moins prévisibles.

Guillaume de Lafontaine, professeur au Département de biologie, chimie et géographie de l’Université du Québec à Rimouski, a voulu en savoir plus. En effet, mieux connaître cette population de conifères permettra d’entrevoir les réactions auxquelles s’attendre dans le contexte des changements climatiques.

Si les pins gris se trouvent dans la forêt tempérée du Bas-Saint-Laurent, est-ce parce que les feux de forêt y étaient autrefois plus fréquents ? La datation de charbon de bois a plutôt révélé que les populations de pin gris réussissent à s’y maintenir depuis plus de 7 000 ans, même en l’absence d’un régime de feux de forêt comparable à celui que l’on trouve dans le Nord du Québec.

Le scientifique avance donc une explication : les pins gris sont beaucoup plus diversifiés au Sud que dans le Nord. Ainsi, si les cônes nordiques sont tous très sérotineux, ceux des pins gris dans la marge sud varient davantage, parfois sur la même branche. Ces arbres mettent ainsi de leur côté toutes les chances de se régénérer, avec ou sans la chaleur des feux.

Le chercheur souhaite maintenant étudier la variabilité génétique des pins gris au Sud. En effet, si les espèces tempérées se déplacent vers le Nord en raison des changements climatiques, il est primordial de comprendre si le pin gris a encore ce qu’il faut dans son bagage génétique pour se reproduire sans incendie dans les conditions incertaines qui auront cours demain. Il vaudra peut-être mieux protéger ces populations distinctes, qu’on trouve souvent sur des terres privées, pour s’assurer de préserver cette biodiversité.

Sources :

Pelletier, E., de Lafontaine, G. (2023). Jack pine of all trades: Deciphering intraspecific variability of a key adaptive trait at the rear edge of a widespread fire-embracing North American conifer. American Journal of Botany, 110, e16111. doi: 10.1002/ajb2.16111

Pelletier, E., Couture, M. et de Lafontaine, G. (2023). Hedging at the rear edge: Intraspecific trait variability drives the trajectory of marginal populations in a widespread boreal tree species. Journal of Ecology, 111, 479-494. doi: 10.1111.1365-2745.14041