La population du Québec se prête bien aux études de nature génomique. Parce que les chercheurs disposent de jeux complets de données démographiques et généalogiques qui remontent à l’époque de la Nouvelle-France, ils peuvent isoler l’effet de variantes génétiques au fil du temps. Cela permet, par exemple, de détecter des traces de la sélection naturelle dans l’ADN mitochondrial (ADNmt), qui tient un rôle central dans le métabolisme. Emmanuel Milot, professeur au Département de chimie, biochimie et physique de l’Université du Québec à Trois-Rivières, s’est tout particulièrement intéressé à l’influence du climat québécois sur l’ADNmt dans la population préindustrielle canadienne-française à l’époque de la colonisation du Saguenay–Lac-Saint-Jean, entre 1842 et 1910.

En remontant la généalogie, le chercheur et son équipe ont assigné des variantes de l’ADNmt prélevées sur des Québécois contemporains à des individus ayant vécu dans le passé. Ils ont ainsi associé ces variations à des traits d’histoire de vie individuels, comme la fécondité et la longévité, lors des décennies qui ont suivi la colonisation du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Ces informations ont ensuite été mises en lien avec des indicateurs climatiques de la rigueur de la température, de l’hiver et de la sécheresse au cours de cette période de 75 ans. Le but : voir comment les génomes d’origine européenne adaptés à des climats plus cléments ont été façonnés par un nouvel environnement.

Certaines variantes de l’ADNmt étaient associées à une mortalité infantile plus élevée ou plus faible chez leurs porteurs que dans la moyenne de la population, des écarts qui étaient exacerbés lorsque les conditions climatiques étaient défavorables. Cette mortalité différentielle a amené certaines variantes bénéfiques à augmenter en fréquence dans la population avec le temps, ce qui constitue un exemple de sélection naturelle sur une courte période.  En effet, en suivant l’ADNmt d’une génération à l’autre, c’est la sélection naturelle « en action » qu’observent les chercheurs. Les résultats de cette recherche renforcent l’hypothèse débattue selon laquelle les variations génétiques de l’ADNmt auraient constitué un matériau privilégié par la sélection naturelle pour adapter les humains aux différents climats terrestres. Ces travaux ouvrent la porte à des recherches sur l’apport du fardeau génétique mitochondrial dans l’apparition de maladies complexes comme le diabète de type 2 et l’alzheimer au sein des populations.