Stéphanie Roy consacre sa thèse de doctorat à un remodelage du rôle de l’État en matière de protection de l’environnement.

Été 2007, les algues bleues envahissent les plans d’eau de la province, dont le lac et la rivière Saint-Charles, au nord de la ville de Québec. L’année suivante, la municipalité adopte un règlement pour protéger sa source d’approvisionnement en eau potable. Désormais, les citoyens vivant près du cours d’eau doivent laisser une bande végétale de 10 m à 15 m de largeur le long de la berge afin qu’elle agisse comme un filtre naturel. Privés de la jouissance de leur terrain, les résidants sont en furie : c’est de l’expropriation déguisée, allèguent-ils devant les tribunaux.

L’affaire Wallot, du nom du meneur du groupe de plaignants, chemine jusqu’en Cour d’appel du Québec. En 2011, celle-ci rejette la contestation des citoyens et confirme le jugement de première instance de la Cour supérieure : le règlement de la ville de Québec est valide. Dans le jugement, un passage retient tout particulièrement l’attention de Stéphanie Roy, aujourd’hui doctorante en droit administratif à la faculté de droit de l’Université Laval. « On peut y lire que la ville de Québec, comme toutes les municipalités, a un rôle déterminant et incitatif à jouer en matière de protection de l’environnement. On parle entre autres de responsabilité grandissante en ce domaine », souligne l’avocate de 30 ans.

L’air de rien, ces propos sont révolutionnaires : ils laissent entendre que l’État pourrait occuper un rôle plus important à titre de protecteur de l’environnement. L’affaire Wallot, que la Cour suprême a refusé d’entendre en 2012, constitue d’ailleurs une des pierres d’assise des travaux de Stéphanie Roy, qui portent sur la notion d’État fiduciaire. « Selon cette théorie, la nature est un bien que l’État doit gérer, par souci éthique, dans l’intérêt de la collectivité. Les bénéficiaires de cette fiducie comprennent les générations actuelles, mais aussi futures, puisque ces dernières vont payer le prix de nos décisions actuelles », explique la récipiendaire d’une des 15 bourses 2017 de la Fondation Pierre Elliot Trudeau, remises chaque année à des doctorants en sciences humaines et sociales.

Les devoirs de l’État

Pour celle qui a grandi au bord de la rivière Montmorency, être dehors est une seconde nature – elle ne manque d’ailleurs jamais une occasion de s’y évader pour pratiquer la randonnée pédestre ou le ski de fond. Sans surprise, sa sensibilité face aux questions environnementales s’est transportée dans ses intérêts de recherche. Elle a d’ailleurs consacré sa maîtrise, au début des années 2010, à la responsabilité civile en cas de déversement d’hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent. À l’époque, le gisement Old Harry, sur la frontière maritime entre les provinces de Québec et de Terre-Neuve, fait les manchettes.

« Il y avait un intérêt pour exploiter ce gisement. Parallèlement, plusieurs communautés qui dépendent du fleuve et du golfe pour leur survie, comme celle des Îles-de-la-Madeleine, s’inquiétaient des conséquences d’un potentiel déversement », se souvient Stéphanie Roy. Une question la turlupine alors : qu’arriverait-il aux victimes si un tel scénario devait survenir ? Seraient-elles dédommagées pour les torts subis ? La réponse, qu’on peut lire dans son mémoire publié sous le titre La responsabilité civile en cas de déversement d’hydrocarbures : l’exemple Old Harry aux Éditions Yvon Blais, a de quoi décevoir. « En gros, il y a un risque de sous-indemnisation des victimes. La loi et le régime de règlement dont nous disposons ne sont pas suffisants », résume la juriste.

Les ponts avec son doctorat, débuté en 2015, sont dès lors jetés; si le cadre juridique actuel en matière de protection de l’environnement est déficient, rien n’empêche d’en mettre un meilleur de l’avant. Pour ce faire, Stéphanie Roy base sa réflexion sur des écrits qui remontent jusqu’aux années 1970, période à laquelle des auteurs américains avaient élaboré des pistes de solution au problème de la pollution, fondées sur la théorie d’un État fiduciaire – l’idée a continué à faire son chemin, sans toutefois être importée au Canada. En outre, elle recourt à une abondante jurisprudence pancanadienne (comme l’affaire Wallot) qui, sans s’appliquer spécifiquement à cette théorie, permet néanmoins de déterminer quels sont les devoirs de l’État en matière d’environnement. « Au final, ce raisonnement me permettra de décrire ses obligations de loyauté, de reddition de compte, et ainsi de suite », fait valoir la jeune femme qui est aussi bénévole au Centre québécois du droit de l’environnement.
Une doctrine au poids lourd

À terme, ces travaux seront vraisemblablement repris dans de vraies causes, pense Pierre Lemieux, professeur à la faculté de droit de l’Université Laval et directeur de thèse de Stéphanie Roy. « Certains auteurs prétendent déjà, en vertu du droit non écrit (common law), que les obligations environnementales de l’État en droit sont la traduction de devoirs fiduciaires. La thèse de Stéphanie, comme doctrine, va en quelque sorte donner du poids à ce raisonnement », affirme-t-il.

Que sa protégée soit boursière d’une des plus prestigieuses fondations du Canada n’étonne pas du tout l’avocat spécialiste en droit administratif : « Le sujet de sa thèse est avant-gardiste. Il n’a jamais été traité au Québec ni au Canada. Il faut à la fois être une excellente chercheuse et juriste pour s’attaquer à un si gros morceau.»

Les questions de Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec

R.Q. : Quelles sont les difficultés de mener un tel projet si avant-gardiste ?

S.R. : Le plus grand défi, à mon avis, est de présenter des solutions qui soient concrètement applicables – et non théoriques – et qui tiennent compte des caractéristiques de nos systèmes politique et économique. Si je souhaite que ce que je propose soit attrayant pour les gouvernements, les avocats et les juges, et mène à de vraies réformes, je dois aussi m’assurer que cela respecte la réalité de la pratique du droit, et considérer le point de vue des personnes, au sein du gouvernement, ayant été amenées à gérer des problèmes environnementaux, par exemple.

R.Q. : Que représente la bourse que vous avez obtenue dans le développement de votre carrière ?

S.R. : Cette bourse, en plus du soutien financier, me permet de faire partie d’une communauté de chercheurs et de mentors provenant de différents milieux et d’avoir l’occasion d’échanger avec eux plusieurs fois par année. En plus de me donner l’occasion d’enrichir mes réflexions et de confronter mes idées, être membre de cette communauté m’a permis de tisser des liens avec des personnes impliquées dans le domaine de l’environnement au Canada, ce qui facilite la création de projets communs et d’initiatives interdisciplinaires. Bref, les opportunités qui se présentent à moi se sont multipliées.

Cette entrevue est parue dans Québec Science, un magazine scientifique pour le grand public.