Axel Déry

Axel Déry

Étudiant au doctorat en science politique, Université Western Ontario

Publication primée : Les préférences des Québécois envers la redistribution : l’exception canadienne?

Publiée dans : Canadian Public Policy

Résumé :

Le Québec se distingue par un modèle social unique en Amérique du Nord, alors que les politiques sociales y sont plus généreuses et développées et que les citoyens tolèrent un niveau d’imposition plus élevé. Ce modèle social est-il soutenu par une opinion publique plus favorable à l’intervention de l’État pour redistribuer les revenus? L’idée que les Québécois seraient plus solidaires que les autres Canadiens est souvent véhiculée dans les médias et par les politiciens eux-mêmes. Cependant, cette affirmation n’avait pas été démontrée.

Axel Déry, Olivier Jacques et Shannon Dinan ont analysé une vingtaine de sondages échelonnés sur les cinquante dernières années pour vérifier si les Québécois appuient davantage l’intervention de l’État et la redistribution des revenus des riches vers les pauvres que les autres Canadiens. Ces concepts reliés à la notion de solidarité sont au cœur des études sur l’opinion publique par rapport à l’État-providence.

Notre analyse, publiée en 2024 dans la revue Analyse de Politiques, révèle un appui significativement plus élevé envers la redistribution et l’intervention de l’État chez les répondants québécois que chez ceux des autres provinces. On observe toutefois un appui aussi important envers la redistribution dans certaines provinces de l’Atlantique qu’au Québec. Cette spécificité québécoise s’explique par une plus faible polarisation entre les riches et les pauvres et entre les électeurs de différents partis sur les questions redistributives.

En effet, les Québécois situés au haut de l’échelle des revenus sont moins opposés à la redistribution que les riches vivant dans les autres provinces. De plus, alors que les électeurs des partis conservateurs dans les autres provinces sont très opposés à la redistribution, les électeurs des quatre partis représentés à l’Assemblée nationale partagent des préférences assez similaires sur ces questions.

L’association entre nationalisme québécois et protection sociale représente un autre facteur de différenciation. En effet, les Québécois qui s’identifient davantage au Québec (plutôt qu’au Canada) ont tendance à appuyer la redistribution. En faisant la promotion de politiques sociales plus généreuses que dans les autres provinces, les gouvernements du Québec ont cherché à renforcer l’idée de société distincte et à cimenter le sentiment d’identification des citoyens envers l’État du Québec. Ainsi, certains nationalistes plus à droite appuient la redistribution et l’intervention de l’État (québécois). Cette situation qui augmente l’appui moyen envers la redistribution n’existe pas dans les autres provinces, puisque les Canadiens qui s’identifient à leur province sont généralement portés à voter pour les partis conservateurs et à s’opposer à la redistribution.

Cet exceptionnalisme québécois a des conséquences politiques. Il explique en partie pourquoi le Parti conservateur du Canada n’arrive pas à faire une percée dans la province. De plus, il est politiquement difficile pour un gouvernement québécois de réduire significativement l’intervention de l’État. Ainsi, l’austérité budgétaire que le gouvernement menace d’imposer dans les prochaines années risque de lui nuire lors de la prochaine campagne électorale.