Marie Michèle Grenon
Postdoctorante en andragogie et anthropologie
Université du Québec à Montréal (UQAM)
Publication primée : Apprentissages en littératie et pratiques sociales en changement dans le cadre d’un projet d’art communautaire destiné à des femmes judiciarisées
Publiée dans : International Journal of Lifelong Education
Résumé
Au Canada, les femmes judiciarisées tendent à être moins scolarisées et moins intégrées au monde du travail que la moyenne de la population, des facteurs généralement associés à de plus faibles compétences en littératie (Public Safety Canada, 2022). Les personnes incarcérées ont accès à des opportunités éducatives en détention, mais aussi en maison de transition où elles peuvent demander à compléter leur sentence et préparer leur réintégration sociale. Dans une maison de transition pour femmes à Montréal, les programmes proposés incluent notamment l’art communautaire. Dans cet article, nous nous intéressons aux apprentissages, dont ceux liés à la littératie, réalisés par un groupe de femmes judiciarisées qui prennent part aux activités artistiques du Collectif Art Entr’Elles, analysées comme un espace d’éducation non formel. Il s’appuie sur une étude ethnographique de terrain menée durant toutes les étapes de réalisation d’un projet, en débutant par le processus de création (avril 2022) jusqu’à l’exposition de l’œuvre finale (avril 2023). Le projet d’art communautaire a été développé à travers un processus de collaboration créatif et de réflexion en groupe entrepris par sept femmes, désignées comme « artistes communautaires », deux artistes professionnels et une coordonnatrice affiliée à la maison de transition. L’objectif était d’élaborer une œuvre sonore collaborative organisée autour de sept contributions personnelles, dont la structure a été discutée et déterminée par le groupe. Avec le soutien de la coordinatrice et des artistes professionnels, chacune des sept femmes a été invitée à créer un autoportrait numérique ou une courte histoire explorant une thématique de leur choix. Utilisant une forme narrative non linéaire, l’œuvre sonore collaborative a été présentée en deux parties : une installation artistique in situ et un parcours virtuel sur le Web. En adéquation avec le mandat d’Art Entr’Elles, le projet artistique vise à faire entendre la parole de femmes judiciarisées dans l’espace public afin de démanteler les préjugés à leur égard.
En nous appuyant sur une analyse de contenu des données ethnographiques colligées, nous démontrons, d’une part, que les femmes participant au projet se sont engagées dans une variété de pratiques de littératie qui ont contribué à améliorer leur confiance en soi et, dans une certaine mesure, leurs compétences en littératie. Elles ont également développé leur culture générale et artistique, ainsi que des aptitudes communicationnelles et personnelles. D’autre part, en nous appuyant sur la théorie de la pratique sociale de Lave (2019), nous explorons plus en détail l’expérience et le parcours d’apprentissage de Zoé, une des femmes impliquées dans le projet. Nous démontrons ainsi comment le changement s’est produit chez cette participante, ainsi que sur le plan de sa participation et de ses pratiques, au fil du projet. En somme, notre étude indique que l’éducation non formelle, notamment lorsqu’elle prend la forme de projets d’art communautaire, peut jouer un rôle positif dans la diversification et l’amélioration des pratiques de littératie qui sont essentielles à la réinsertion sociale et au bien-être de femmes judiciarisées.