Un projet de l’OBVIA : les enjeux de l’immortalité numérique - Fonds de recherche du Québec - FRQ

La mort a toujours signifié l’atteinte d’une limite infranchissable dans l’esprit des humains. Quiconque a perdu un être cher connaît ce sentiment d’impuissance devant la disparition irrémédiable de l’autre. Mais l’intelligence artificielle remet cette frontière en question.

« Des entreprises peuvent désormais prolonger la présence d’une personne décédée en composant un avatar numérique avec lequel on peut interagir, ce qui crée d’énormes enjeux éthiques, légaux et psychologiques », explique Emmanuelle Marceau, chercheuse en philosophie au Cégep du Vieux-Montréal.

Entraîné à partir d’extraits vocaux, de vidéos et de photos, cet avatar s’exprime avec la même voix que la personne décédée et peut imiter sa manière de penser et ses tics de langage. Des entreprises peuvent même éventuellement jumeler l’avatar avec la technologie de l’hologramme, ce qui permettrait de faire apparaître dans une pièce un avatar avec lequel on pourrait converser.

Emmanuelle Marceau explore les enjeux éthiques, légaux et psychologiques de cette immortalité numérique. Son projet de recherche interordre (cégep et université) est aussi interdisciplinaire. Deux cochercheurs l’appuient dans ses travaux : Me Mariève Lacroix, professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, et Me Charles-Étienne Daniel, professeur adjoint aux facultés de droit et de génie de l’Université de Sherbrooke.

De grands questionnements

En effectuant une recension de la littérature scientifique sur ce sujet et en explorant certaines œuvres artistiques, notamment des épisodes de séries télévisuelles telles que Black Mirror ou Upload, Emmanuelle Marceau a dressé une cartographie des enjeux éthiques de l’immortalité numérique.

Premier constat : ils sont nombreux ! On peut se demander, par exemple, où commencent et où s’arrêtent les droits des gens décédés quant à l’utilisation de leur personnalité après leur mort. Ou encore ceux des individus ou des entreprises qui veulent créer un avatar ou l’employer. La même question se pose au sujet de la protection du droit à la vie privée.

Lors de la première conférence qu’Emmanuelle Marceau a donnée sur ce sujet en mai dernier, dans le cadre du Congrès de l’Acfas, devant des gens spécialisés en soins de fin de vie, ces derniers ont parfois été horrifiés face à cette perspective d’immortalité numérique. « L’acceptabilité sociale demeure un enjeu majeur, souligne la chercheuse. Pour l’instant, elle n’existe pas, mais qu’en sera-t-il dans quelques années ? Cette idée deviendra-t-elle plus acceptable ? »

Ces nouvelles possibilités technologiques pourraient en outre exacerber les inégalités sociales face au deuil : d’un côté, il y aurait des gens qui auraient les moyens de prolonger la présence de leurs proches, et de l’autre, des personnes endeuillées qui devraient accepter leur perte, ou encore, pathologiser le deuil. Ces technologies risquent aussi d’accentuer le brouillage entre le réel et le virtuel.

Une exploration artistique

Un sujet aussi nouveau et aussi complexe constitue une riche matière pour des artistes. La chercheuse en a recruté trois – Jean-Philippe Baril Guérard, Véronique Mocle et Michel Lemieux – pour aider des étudiantes et des étudiants à créer des œuvres artistiques en s’inspirant des enjeux de l’immortalité numérique.

« C’est une autre manière de porter et de diffuser des messages clés quant aux résultats de notre recherche, et d’alimenter la réflexion sur une innovation qui soulève beaucoup de questionnements », conclut la chercheuse.

On peut se demander, par exemple, où commencent et où s’arrêtent les droits des gens décédés quant à l’utilisation de leur personnalité après leur mort. Ou encore ceux des individus ou des entreprises qui veulent créer un avatar ou l’employer. La même question se pose au sujet de la protection du droit à la vie privée.

Emmanuelle Marceau

Professeure de philosophie au Cégep du Vieux Montréal, et professeure associée à l’École de santé publique de l’Université de Montréal