
Les cybercriminels visent souvent les personnes aînées. La chercheuse Nadia Naffi de l’Université Laval a décidé de combattre le feu par le feu en enseignant à ces dernières comment réaliser des hypertrucages (deepfakes), afin qu’elles sachent les reconnaître.
L’intelligence artificielle facilite la production d’hypertrucages vocaux ou vidéo qui imitent la voix ou le visage d’un proche. Cette approche est utilisée dans des arnaques visant, notamment, les personnes aînées. Celles-ci recevront, par exemple, un faux appel ou une fausse vidéo d’un de leurs petits-enfants affirmant être en danger et avoir immédiatement besoin d’une somme d’argent. C’est ce qu’on nomme la « fraude grands-parents ».
Les hypertrucages sont aussi souvent employés pour les escroqueries amoureuses. Comme tout le monde, les personnes aînées peuvent en outre être exposées sur les réseaux sociaux à des deepfakes qui propagent de la désinformation. « Les gens, et en particulier les personnes aînées, demeurent peu conscients de l’étendue et de la gravité de ce phénomène », déplore Nadia Naffi, chercheuse au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval. Au Canada, plus de 80 % des personnes âgées de 65 ans et plus se promènent régulièrement en ligne, selon Statistique Canada. Il devient donc urgent de les sensibiliser.
Des truqueurs bienveillants
Nadia Naffi s’est donc donné comme objectif de mieux outiller les personnes aînées pour réduire le risque qu’elles soient victimes des deepfakes. Son approche est fort originale. « Nous leur apprenons à manier des outils qui permettent de fabriquer des deepfakes, afin qu’elles comprennent les stratégies utilisées par les personnes qui cherchent à les tromper », raconte-t-elle. Au-delà de la maîtrise des outils technologiques, les gens qui participent à ces exercices découvrent également comment on choisit des cibles et comment on élabore des manipulations.
Bien sûr, l’idée n’est pas de leur apprendre à devenir des arnaqueurs. « Nous leur donnons comme objectif d’être des “deepfakers” bienveillants et de concevoir un trucage qui servira à sensibiliser des gens aux risques de ce phénomène », précise Nadia Naffi. Par exemple, on a réalisé une vidéo présentant une montre qui offrait de nombreuses fonctionnalités aux personnes aînées et on a ensuite expliqué comment on pouvait voir qu’il s’agissait d’une arnaque.
L’activité se terminait par des discussions de groupe qui étaient l’occasion de revenir sur le contenu de la formation, mais aussi sur l’expérience vécue dans le cadre de ce projet de cocréation de connaissances. En amont, ces personnes aînées ont participé à une entrevue qui visait à établir leurs niveaux de connaissances sur des sujets comme la désinformation et l’hypertrucage.
Des étudiantes en intelligence artificielle, en technologies éducatives et en communications et journalisme ont contribué au projet, tout comme Ann-Louise Davidson, chercheuse en technologies éducatives à l’Université Concordia, et Félix Pageau, chercheur en gériatrie à l’Université Laval.
« Cette expérience a été extraordinaire, s’enthousiasme Nadia Naffi. De nombreuses personnes aînées étaient surprises d’apprendre que les deepfakes existaient, mais surtout, que c’était si facile d’en produire. Elles se sont promis de sensibiliser leurs proches sur ce sujet. » Cette formation pourrait éventuellement être offerte dans des bibliothèques publiques.
Ce projet de recherche est l’un des chantiers d’interventions thématiques financés par l’Observatoire sur les impacts sociétaux de l’intelligence artificielle et du numérique (Obvia).
Par le biais d’activités de co-construction des connaissances avec les technologies d'hypertrucage et au développement de compétences critiques pour évaluer la véracité des contenus en ligne, nous aspirons à fournir aux aînés les outils nécessaires pour naviguer de manière sûre et informée dans un environnement médiatique de plus en plus complexe.
Quelques chiffres clés :
28% en 2066
En 2016, les personnes aînées de 65 ans et plus représentaient 18 % de la société québécoise. Cette proportion devrait s’élever à 28 % en 2066.
30 %
C’est le faible pourcentage des adultes du Québec âgés de 65 ans et plus qui estiment avoir des habiletés élevées à utiliser les technologies numériques, tandis que 9 % avouent qu’elles sont basses.
Des conséquences dévastatrices
Ces fraudes peuvent avoir des conséquences significatives sur le bien-être physique et mental des personnes aînées.
Pour aller plus loin :
- Les aînés face aux « deepfakes » : promouvoir la cyber-résilience par l’éducation, chantiers d’intervention thématique de l’OBVIA.
- Nadia Naffi et al., Hypertrucages et cyberrésilience des personnes aînées : enjeux et perspectives, Obvia, juillet 2025.